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Un été avec Pascal: une lecture disruptive

proposée par Marie-Hélène Verdier


Un été avec Pascal: une lecture disruptive
Antoine Compagnon © Hannah Assouline

C’est l’été. Le temps des folies. Cet été, ce sera Pascal. Plus précisément : Un été avec Pascal, dans la collection Équateurs parallèles. Quel meilleur guide qu’Antoine Compagnon, avec qui nous avons passé d’autres étés, professeur au Collège de France, pour nous introduire dans l’univers de cet « effrayant génie », scientifique et littéraire, ce mystique et ce polémiste, « jouteur et joueur », cet écrivain hors pair qu’est l’auteur des Pensées et des Petites Lettres ? Lecture ardue pour bonheur incertain ? Disruptive, plutôt, et gain assuré ! Une table de matières attirante. Des chapitres courts avec plein de citations commentées. Du lourd mais rien de pesant. Après cette lecture, on est rassuré d’avoir entrevu notre condition humaine. À condition de le vouloir, évidemment.

Le divertissement, la folle du logis, l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse, les trois ordres, la raison et le cœur, l’ange qui fait la bête : la pensée pascalienne fait partie de notre univers mental. L’image des deux infinis n’a pas pris une ride avec la science moderne : « C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. » Nous non plus qui « n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. » Mais le Pascal énigmatique et taquin, le connaissons-nous ? « Talon de soulier ou Infini rien. » Le bretteur des Provinciales ? Sa pensée abrupte et concise, lyrique et polémique, cette langue aussi bien classique que baroque, décape et sidère, exalte. Nous regardons partir des fusées sur des plates-forme californiennes. Les fusées de Pascal vont plus haut, plus fort, plus loin : l’infini est en nous.

Dans les Pensées, Pascal entend montrer la misère de l’homme sans Dieu et la félicité de l’homme avec Dieu. Il n’entend pas prouver l’existence de Dieu—idée absurde— mais persuader « les libertins » (nous, en somme) de se tourner vers Dieu. Si la religion chrétienne est « aimable », c’est-à-dire désirable, c’est qu’elle celle qui « a le mieux connu l’homme ». Chez Pascal, anthropologie et théologie vont coude à coude et s’interpénètrent. La dialectique, implacable, qu’admiraient les marxistes, biberonnés aux Provinciales, renvoie sans cesse, par un mouvement centripète et centrifuge, des parties au tout : l’homme, l’univers, le dieu caché. Antoine Compagnon ne prétend pas faire une lecture exhaustive de Pascal mais rendre sa lecture « aimable. » Pourquoi ne pas relire ici certaines pensées dans un éclairage contemporain ?

L’ange et la bête. Ce qui caractérise l’homme, ce sont ses « contrariétés ». L’anthropologie pascalienne a tout bon. L’homme cherche la vérité et ne la trouve pas. Il recherche le repos et s’active toujours jusqu’au burn out. (Est-ce bien nécessaire ?) Il veut être heureux sans penser à sa condition. (Est-ce bien raisonnable ?) Pascal avertit de sa méthode : « S’il se vante, je l’abaisse/ S’il s’abaisse, je le vante/ Et le contredis toujours. Jusqu’à ce qu’il comprenne/ Qu’il est un monstre incompréhensible. » « Monstre » : ce qui sort de l’ordre de la nature. « Contredis » : la pensée pascalienne use continuellement du renversement du pour ou contre, pour nous remettre à notre juste place. Dépassée, cette anthropologie ? Certes pas ! L’homme contemporain est, à la lettre, exorbité : il  veut sortir de sa condition charnelle, sexuelle, mortelle, « naturelle ». D’où ses contradictions. Il ne veut pas croire, et il adore la Terre Mère. Il n’est plus partagé entre science et foi, et Il se fait l’esclave de la Technique. On a beau jeu de dire que les Pensées, c’est terreur et tremblement. Qui suscite la terreur d’un monde de robots, avec une antigénéalogie à deux mères et sans père ? Pascal a raison :  L’homme fait l’ange ou la bête. Et encore : «  La politique, c’est comme régler un hôpital de fous. » 

Le pari. Pour Pascal, on a tout intérêt à miser sur Dieu non pas « celui des philosophes et des savants mais celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ». Si on mise sur Dieu, on a une « infinité infinie de gain » à gagner. Si on perd, on ne perd rien. Pascal s’adressait à des joueurs. Avons-nous changé ? Non et oui. Nous ne sommes pas des joueurs mais des calculateurs. Assoiffés d’argent, nous n’obéissons qu’au Grand Marché : c’est l’argent (la prise) qui motive, non le jeu. Or, qu’est-ce qui prouve que notre calcul est bon ?

Le divertissement, c’est ce qui nous détourne de la considération de notre condition malheureuse que seule la mort peut faire taire. C’est les jeux, la Bourse, le sport, l’avidité scientifique, les plaisirs. Mais non, Pascal ne nous fait pas la morale ! Il nous prend même à rebours. Nous avons « raison » de nous divertir : autrement, il nous faudrait penser à notre condition faible et mortelle. Le divertissement par excellence de notre temps ? La politique : une maîtresse insatiable.

Le sens de l’histoire ? Les marxistes appréciaient la dialectique et le cynisme de Pascal. Je cite Compagnon. « Dans Ma nuit chez Maud qui se passe à Clermont-Ferrand, Antoine Vitez qui joue le philosophe marxiste, remplace le pari sur l’existence de Dieu par le pari sur l’histoire. L’histoire a-t-elle elle un sens ? Ou non ? » On connaît la théorie du dieu caché de Goldmann.  Leçon : ne pas voir la lutte des classes partout. Que Marx ne soit plus là ou qu’il revienne.  

Justice et force. Pascal pense par dyade. Les rapports contradictoires de la justice et de la force, il les a exprimés dans une maxime frappante : « Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » Les juges de la CEDH font, des droits de l’homme, dans le domaine sociétal, une pure casuistique, affirmant tout, et son contraire, d’un pays à l’autre.  « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. ». 

Les trois ordres. Pascal pense aussi par triade. Une triade qu’on malmène sans arrêt au détriment de la vérité est celle des trois ordres : corps, esprit, charité. Dans les débats, on passe inconsidérément d’un ordre à l’autre jusqu’à la confusion totale. Et on en arrive à l’injustice et même la violence dans tous les domaines : moral, sociétal, bioéthique et religieux. Le mal d’enfant fait du saute-mouton sur le mal fait aux enfants que l’on prive de père. L’absurdité de l’égalité des hommes et des femmes conduit à la discorde. On a « le droit à migrer » etc.

Les Provinciales. En même temps qu’il écrivait les Pensées, Pascal écrivait les Petites Lettres (ou Lettres Provinciales.) Publiées sans nom d’auteur en 1657, elles furent attribuées à Louis de Montalte, prête-nom de Pascal, qui usait d’anagrammes et de pseudos. Durant cette campagne terrible et savoureuse contre la casuistique des Jésuites, Pascal s’était caché devant le collège de Clermont, actuel lycée Louis-le-Grand, et « suivait avec jubilation ces « mazarinades ». Certes Mère Angélique Arnaud ne fut pas trop contente mais, pour nous, quel bonheur que ces Lettres ! Tous les ecclésiastiques devraient, d’ailleurs, les connaître. Il y a quelques années, un metteur en scène eut l’idée géniale de monter au théâtre les Provinciales. Un chef-d’oeuvre ! Avec ces Lettres, la casuistique en prenait un coup mais la langue française en recevait un éclat sans pareil.     

Pascal était un mystique. Sur son cœur, il portait le Mémorial, souvenir d’une nuit de feu. « Que Dieu ne m’abandonne jamais » : telles furent ses dernières paroles. Jamais aucun écrivain ne nous a parlé comme lui de notre condition. Puisse le petit livre vert d’Antoine Compagnon nous amener aux Pensées. Car « L’homme passe infiniment l’homme ».

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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