L’acteur au charme inimitable ne s’est pas contenté d’incarner Arsène Lupin
« Allo Police, je vous appelle parce qu’il y a eu un crime chez les Kramer »
Il y a d’abord et avant tout cette musique électronico-pop, succédané d’un porno soft, féérie exfiltrée des brumes des crises énergétiques. Un régal pour les mélomanes des Nationales abandonnées et des motels défraîchis. Cosma à l’orchestration fait languir le jeune téléspectateur du début des années 1980 dans son salon en velours bleu nuit. La bande originale de Sam et Sally est une variation infinie sur les aventures boulevardières d’un couple d’enquêteurs-dilettantes, tantôt traînante à souhait comme dans l’extrait « Tendre Sam », elle exprime un désir latent et lancinant ; tantôt empreinte d’un romantisme folk un brin désespéré dans « Tendre Sally », elle est cet appel à fuir la France, à se moquer du Giscardisme mourant ou de la Mitterrandie naissante, à quitter ce pays farci d’une morale trop pesante quand on a moins de dix ans et l’objectif bien établi de gaspiller sa vie. De tout envoyer balader et de prendre le volant d’une Excalibur blanche à la carrosserie néo-rétro. Partir sur un coup de tête à Deauville ou à Rome avec un mannequin volant, une sténodactylo au visage frondeur, une héritière du cuivre ou des mines de phosphate nous paraissait alors une destinée hautement respectable. Nous étions loin du Programme ou du Marché commun.
Au cours des deux saisons de cet éphémère feuilleton télévisé, Corinne Le Poulain et de Nicole Calfan ont successivement apporté au personnage de Sally Kramer, son piquant et son sex-appeal décontracté, sa candeur lumineuse et son absence de dogmatisme, sa fantaisie décorsetée et sa bienveillance coquine. Ces actrices incarnaient le charme à la française, mélange d’esprit canaille et d’érotisme délicieusement contraint, de jambes légères et d’effronterie populaire, de cette classe innée qui se joue des poses et ne s’apprend pas sur les bancs du Conservatoire. Dehors, il pleuvait, Paris était enveloppée d’une grisaille qu’à ce moment-là de notre histoire, nous trouvions détestable. Nous avions tort. La jeunesse ignore les beautés fanées, elle se gave de nouveautés tapageuses. Elle le regrette aujourd’hui. La France étouffait sous l’édredon des discussions, déjà le plombant des journalistes était un motif d’abstention et puis cette morgue des économistes qui voulaient changer la société, l’adapter aux enjeux de la mondialisation émergeante était aussi abjecte que les utopies collectivistes. Nous n’aspirions qu’au désengagement rigolard et à l’évasion farceuse, aux hold-up foireux et aux sorties de route fumantes. Nous désirions l’inaccessible et le rocambolesque, un loft à Montmartre, une gentilhommière en Normandie, un duplex Piazza di Spagna, le Concorde à domicile et des souliers sur mesure. Les hommes politiques nous promettaient la retraite à 60 ans, les pauvres, ils avaient trente d’ans de retard. Quel manque d’ambition !
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Sur le petit écran, Sam et Sally, nos deux justiciers milliardaires des boulevards maréchaux n’avaient rien à envier à leurs homologues américains de Bel Air. Jonathan et Jennifer Hart n’avaient certainement pas la distinction insoumise de nos chers frenchies. Quelque chose de plus naturel, de plus taquin, de plus guignolesque et de plus émouvant aussi, une manière de se rire de l’existence, l’héritage de Sacha Guitry probablement. Sam n’aurait pas eu cette présence pétroleuse et hâbleuse, comique et hautaine sans le talent de Georges Descrières (1930-2013). Le doyen du Théâtre Français, gentleman cambrioleur de l’ORTF, trop rarement vu au cinéma, pourtant irrésistible de duplicité dans Le Sucre de Jacques Rouffio ou inoubliable french-lover dans Voyage à deux de Stanley Donen possédait cette distance nécessaire pour nous extraire d’un triste quotidien. Les derniers épisodes de cette courte série sont aussi fantomatiques et ratés que la fin de The New Avengers ou Les Nouvelles Brigades du Tigre. Comme si les scénaristes en roue libre avaient, par lassitude et une forme de relâchement total, été phagocytés par leurs héros. Il faudra, un jour, penser à écrire un essai sur le phénomène étrange de dépossession dans la fiction. Pourquoi avons-nous tant aimé Georges Descrières ? Pour son insolence amusée, sa voix de cardinal endimanché, ses foulards en soie, sa caricature pleinement assumée et son obsolescence programmée dans un monde qui ne comprend plus le second degré et ne reconnait que les instructions martiales.
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