Dans le nouveau roman du reporter et écrivain François-Xavier Freland, sur l’île grecque d’Anafi, Antoine et Diane s’aiment, avant de voir le tourisme de masse, la pandémie et des divergences ternir leur relation…
On y plonge comme on tombe amoureux, on le lit d’une traite et on en reste abasourdi et rêveur. Un été à Anafi est une fiction troublante qui, sans être autobiographique, n’en manifeste pas moins des blessures que l’on suppose personnelles. L’Histoire et la politique en constituent cependant la trame, mais tout naturellement, sans dégagements théoriques ni analyses péremptoires. Simplement, la vie, l’amour même, ne peuvent pas, en fin de compte, s’abstraire complètement du contexte.
Subtilité et talent d’écriture
Dans L’Absent, paru en 2018 (EnvolEmoi Éditions), François-Xavier Freland nous avait déjà fait sentir à quel point la dimension historique, la « grande histoire » est partie prenante des histoires individuelles, amoureuses, sentimentales, familiales. La mémoire de l’absence vous revient en plein cœur tant d’années plus tard et ses échos se font entendre depuis un port de transit à Madagascar ou depuis l’Indochine perdue.
François-Xavier Freland est journaliste et écrivain. Reporter monde audacieux, spécialiste de l’Afrique et de l’Amérique latine. Son ouvrage Mali: Au-delà du Jihad (Editions Anamosa) publié en 2017, est une référence qui aurait peut-être permis d’éviter certaines erreurs dans la région si elle avait été davantage connue des responsables politiques français. Dans Qui veut la peau d’Hugo Chavez ? paru en 2012, il décrivait avec une grande lucidité le système chaviste, alors que le titre pouvait laisser croire, à tort, à une complaisance à l’égard de l’autocrate. Mêlant connaissance du terrain, témoignages et anecdotes vécues à la fois touchantes et extrêmement pertinentes, il rend compte avec subtilité de la complexité de chaque situation.
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Car François-Xavier Freland est également un véritable écrivain et cela transparaît jusque dans ses ouvrages géopolitiques. Dans son dernier roman récemment publié aux éditions Intervalles, on retrouve une nouvelle fois son style tout à fait remarquable. Des phrases courtes, incisives, des dialogues naturels, des chapitres brefs qui scandent le tourment amoureux sur un rythme un peu haletant mais avec ce regard distancié qui ne parvient jamais à rompre complètement avec un passé qui joue en sourdine.
François-Xavier Freland nous conduit ici en Méditerranée. Cette île grecque singulière, qui est évoquée avec précision et poésie à la fois, rappelle par sa position au basculement de deux mondes, d’autres îles et d’autres côtes, croates, italiennes ou corses. La pression du tourisme de masse qui abîme le littoral sauvage et néglige un arrière-pays au charme farouche. L’inconsistance des « bobos » écolos qui prétendent défendre « la nature » tandis qu’ils participent pleinement de la mondialisation qu’ils dénoncent. Des jeunes gens en perte de repères et des moins jeunes aussi, tout aussi désespérants. Mais si les saisons et les vents sont manifestement perturbés par le changement climatique, les rochers immuables contemplent la mer. Et le temps passe, inexorablement, tandis que le Santorin au loin fait son dos rond.
Les histoires d’amour finissent mal, en général
Et puis bien sûr l’amour. Le véritable personnage d’un roman n’est-il pas toujours l’amour ? Insistant et évanescent, impérieux et insaisissable. « Ils ne s’étaient pas croisés depuis trois jours. (…) « Tu m’as manqué » chuchota-t-elle. (…) Il sentit ses pieds froids, la douceur de sa peau contre ses jambes, ses deux seins plantés contre son torse. (…) Ce n’est qu’en début d’après-midi qu’ils se réveillèrent. (…) Ils marchèrent longtemps dans la garrigue (…). Un moment Antoine attrapa sa main après qu’elle eut effleuré la sienne. (…) Qui cherchait vraiment l’autre ? N’avaient-ils en commun qu’une puissante envie d’aimer ou d’être aimé ? ».
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La jalousie n’est peut-être que la rage de l’impuissance à connaître l’autre, à se fondre en lui, à devenir lui. Et l’inconstance une ligne de fuite. Quant au retour, il n’est sans doute qu’une autre façon de se perdre. La Diane du roman n’a rien d’une chasseresse solidement charpentée. Son pied léger et sa démarche dansante ont le charme fragile des oiseaux de passage, emportés comme malgré eux dans leur vol migratoire. Ils vont et reviennent mais jamais ne se fixent. Et ils sont à la merci de tous les prédateurs. Antoine n’en est pas un. Mais son passé insiste et son âme nostalgique voile son regard. La fusion des corps ne préfigure rien d’autre qu’elle-même. Ne doit-elle pas être appréciée simplement comme telle ? Pleinement, dans la fulgurance de l’instant, dans la lumière d’un été à Anafi.
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