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Un dimanche hyperfestif


Un dimanche hyperfestif

Le Printemps des poètes est l’une de ces manifestations innombrables en faveur de cette chose mourante, le livre, dont on veut faire croire au spectateur moderne qu’il existe toujours. Parce que même les agents de la société spectaculaire-marchande, depuis qu’ils ne croient plus ni en Dieu ni en Marx, ont besoin de ce supplément d’âme qui, avec les antidépresseurs et les anxiolytiques, permettent de supporter la vacuité totale d’existences vouées à de pauvres pulsions consuméristes.

Donc, fêtons les poètes. La fête, ou plutôt le festivisme, dont Philippe Muray nous expliqua si bien comment il permettait dans la posthistoire « à la mort de vivre d’une vie humaine », c’est rassurant, déculpabilisant. Les poètes, on n’en parle jamais, ou alors une dizaine de jours par an, ça ne peut pas faire de mal. C’est caritatif, finalement. Comme donner pour les enfants myopathes ou la lutte contre le cancer. Et puis tout le monde a plus ou moins écrit des poèmes et tenu un journal intime. Des vers griffonnés sur un cahier de textes en 3e, des « amours » qui riment avec « toujours »… La moiteur chlorotique et les hormones qui subliment… On a beau avoir vieilli et s’inquiéter pour les taux d’intérêt et de cholestérol, on se souvient de cette époque ou Rimbaud était un copain que l’on retrouvait chaque soir.

D’ailleurs, depuis Alphonse Daudet et son sous-préfet aux champs, on sait que même les Premiers ministres archéo-gaullistes aiment la poésie même s’ils sont moins convaincants sur le sujet que lorsqu’ils défendent, pour le coup poétiquement car sans autre force que celle du verbe, une position héroïque à l’ONU face à la folie messianique des néo-conservateurs.

Alors, un Printemps des poètes, pourquoi pas ? Quand bien même on rencontrera surtout des sous-René Char subventionnés, des oulipiens formalistes et des oracles d’arrondissement qui se prennent pour Héraclite parce qu’ils écrivent des poèmes avec trois mots par vers et trois vers par page. C’est l’élite, l’air de rien, la poésie contemporaine, et elle est tellement élitiste qu’elle n’est plus lue par personne… Nous n’aurons pas la cruauté de rappeler que Les contemplations de Victor Hugo, en 1856, virent leur premier tirage épuisé en quelques jours et qu’on connaissait les vers de ce vieux mage dans tous les foyers ouvriers de France.

Mais bon, le poète, surtout contemporain, c’est sacré. Inattaquable. Pourtant, la poésie n’est pas chez ces tristes sires abreuvés des subventions du CNL mais comme le disait Ponge, chez ces maniaques de la dernière étreinte, ceux qui dans des communautés de Corrèze, des émeutes grecques ou des geôles de la Cinquième république vivent vraiment. Elle est chez ceux qui changent la vie et l’écriront, plus tard, ou ne l’écriront pas, ce n’est pas très grave : une vie peut être le plus beau des poèmes si on songe à Arthur Cravan, Jacques Rigaut ou François Augiéras.

Ce dimanche, il se trouve que le Printemps des Poètes va coïncider avec la Journée de la Femme. Funeste conjonction. La femme est le sujet préféré des mauvais poètes et l’occupation préférée des bons amants. La Journée de la Femme, on connaît ses ambiguïtés : soit il s’agit de défendre les discriminées, les voilées, les excisées et je ne comprends pas pourquoi il y a besoin d’une journée particulière dans la mesure où ces revendications, si elles sont vraiment prises au sérieux, ne sont pas celle des femmes en particulier mais de tous ceux qui se trouvent dominés dans les rapports de production. Je ne vois pas en quoi le fait d’être femme et chômeuse, femme et sans-papier, femme et sous-payée ajoute un coefficient supplémentaire à la souffrance. C’est souvent l’erreur de mes amis « de gauche » d’ailleurs que d’oublier ces quelques fondamentaux universalistes du marxisme au profit d’un communautarisme compassionnel et sociétal qui fragmente, divise, éparpille façon puzzle le refus de ce monde-là.

Alors, voir la Journée de la Femme et le Printemps des poètes coïncider, ça m’angoisse. Je n’ai pas envie de passer mon dimanche avec madame Bovary ou monsieur Prudhomme et échanger des serments, les yeux dans les yeux, façon David Hamilton avec vaseline sur l’objectif.

Je préfère Toulet, les filles faciles et rieuses, le Jurançon 93. À lundi.

Les Contrerimes

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