Critique de rock éclairé, talentueux romancier, auteur-compositeur singulier, Patrick Eudeline signe un superbe récit autobiographique dans lequel il dévoile tout : sa famille, ses amis, ses fêlures et ses galères…
On le savait critique de rock inspiré, avant-gardiste abordable et non poseur, capable d’exhumer raretés oubliées ou de réhabiliter des perles trop longtemps méprisées (ses articles dans le regretté Best le confirment) ; on l’a découvert auteur-compositeur précurseur (avec son groupe Asphalt Jungle) ; puis écrivain avec le manifeste essentiel – manière de Grognard & hussards, de Bernard Frank – du mouvement punk des seventies (L’Aventure punk, Le Sagittaire, 1977 ; Grasset, 2004) mais surtout avec de sublimes romans dans lesquels il aiguise sa plume surprenante (Dansons sous les bombes, Grasset, 2002 ; Rue des Martyrs, Grasset 2009) ; aujourd’hui, il nous surprend avec un récit autobiographique et inattendu : Perdu pour la France, dans lequel il dit tout, tout sur lui, sur sa vie, sur ses peurs, ses doutes, ses galères, sa famille, avec une désarmante et presque innocente sincérité. C’est beau comme quand un jour de 1974, Kléber Haedens nous donna à lire Adios. On comprend alors que Patrick Eudeline n’est pas seulement un sacré écrivain ; on comprend aussi que c’est un sacré bonhomme, authentique, hanté, fêlé comme un baron Corvo, loin, si loin, des frimeurs surestimés de la rock critic.
Lorsqu’on l’interroge sur le pourquoi de cet opus, il répond tout de go : « Parce que le temps était venu ! J’ai refusé plusieurs propositions d’autobiographies. Je n’aime pas le format. Mais un livre de souvenirs… oui ! C’est aussi un essai sur le Monde d’Avant. Plus intéressant de raconter les scouts et le collège Stanislas, le Pigalle d’alors et d’aujourd’hui que mes rencontres avec Mick Jagger ! La dope avec Sid Vicious, ça oui c’était marrant à raconter ! » Quant au pourquoi du titre énigmatique Perdu pour la France, il lâche : « Les bons titres sont des valises et des punchlines. Tu y mets ce que tu veux… »
« Mon père, le vrai, était peut-être juif »
Des confidences intimes, il en pleut. Saviez-vous que jeune adolescent, il publia son premier article dans le bulletin Mon VI, micro-journal du VIe arrondissement édité par Tibéri (son père retapait l’un des nombreux appartements de l’inénarrable politicien). Titre des deux feuillets ? « L’art de l’esquive ou les basses manœuvres du Florentin » ; est-il utile de préciser que Mitterrand en prenait pour son grade ?
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Le père de Patrick, parlons-en ! Il se prénomme Robert et fait croire à sa famille qu’il a quasiment libéré seul la ville du Havre du joug nazi. Du pipeau. Qui était-il pour lui ? « Ouh la ! L’image et l’origine même de mes contradictions. Un gaulliste prolétaire, hâbleur, et quelque peu inculte qui rêvait de bourgeoisie sans la comprendre. Le beauf de Cabu… un produit de la guerre etc., etc. » Il laisse même entendre qu’il pourrait ne pas être son propre géniteur : « Je ne saurais jamais. Mon père, le vrai, était peut-être juif. J’aimerais bien… je raconte tout ça. » En revanche, de son frère Christian, aujourd’hui critique de rock et écrivain, il en parle peu : « Pas envie et peur de la polémique, de le heurter. Je ne parle pas non plus de la seule femme que j’ai épousé, mais le livre lui est dédié. » Il en est de même de ses années Best : « Tellement de choses à raconter. Je suis allé au plus signifiant ou spectaculaire. Faudrait un second tome ! Mais non… » Il est plus disert à l’endroit du collège Stanislas, institution privée pour fils de bonnes familles, qui l’a marqué : « Ce sont mes racines, mes contradictions, ma culture. Comme disait Gainsbourg, l’érotisme comme la provocation ne se conçoivent que dans la langue de Bossuet. Comprenne qui pourra. » Il raconte même qu’adolescent, il a mis enceinte une fille de son âge. Un petit Eudeline existerait-il sur terre ? « Non malheureusement… Tout est vrai, évidemment. Sinon à quoi bon ? Le petit Eudeline a fini à Londres. Avortement, bien sûr. Grande famille ! J’avais quinze ans, et elle aussi. » Plus surprenant également, il cite Cloclo, Sheila et Enrico, et pas pour en dire du mal, loin de là. Et lâche cette belle phrase : « Puisque la France qu’ils chantent est celle qui me manque chaque jour. » Nostalgique des sixties et des seventies ? Bien sûr ; on est en droit de dire que l’époque actuelle le dégoûte. Que lui reproche-t-il ? « Euh… tout ! C’est la fin d’un monde. Une dégringolade dans un terrifiant Moyen Âge. » Suffisant pour se faire qualifier de droitard et de réac sur les réseaux sociaux : « Aujourd’hui il faut choisir son camp. Pour ce livre j’ai eu toute la presse et médias de droite, sauf CNews ! Et seulement France Inter à gauche. Un grand journal de gauche m’a avoué adorer le livre, mais comme Causeur, Le Figaro et le JDD en parlent…. Blackliste ! » Sur le plan de la musique, il balance, Patrick ; il balance tout. Lui, le précurseur du punk en France, confie avoir été marqué par le progressif rock français des années 70. D’autres, de sa génération, devenus rock’n’rollers tardifs, ont tout fait, eux, pour le dissimuler. Une sincérité qui l’honore : « J’aime la musique et son histoire, tout simplement. Je suis autant passionné par Puccini que par le blues crade ou la pop sixties. Les chapelles rock, c’est de l’ignorance en barre. »
« Je suis une erreur sociale »
Il en est de même lorsqu’il concède que la haute bourgeoisie l’a toujours fasciné : « J’aime l’élégance, les grandes bibliothèques et… je suis une erreur sociale. Wilde est mort pauvre. Baudelaire…. ma hantise… Le dandysme est une philosophie, un désespoir. Le fétichisme des choses et des codes, la haine de la nature. Une transcendance ! Et puis ça occupe. Trouver le bon jean, rien que ça ! Bon, cadeau aux lecteurs : Lévis 505 ou rien ! ». Ses projets ? « Je me consacre à un livre… Totalement inattendu. Un thriller dystopique et grand public ! Je n’en dirais pas plus. Veilleuse sur la musique, sauf si propositions alléchantes. Que j’espère plus coté presse ou radio, d’ailleurs. Mon côté bon client ne demande qu’à s’épanouir. Le livre… le prochain… Il y a déjà des éditeurs très intéressés. Marre du côté poète maudit. Jamais été mon idéal ! »
Même s’il chaloupe – à l’instar de Daniel Darc et Johnny Thunders –, Patrick Eudeline est toujours en marche. C’est bon signe pour nous, ses lecteurs passionnés.
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