Mais notre contributeur nous invite tout de même à aller voir ce testament intemporel de Mozart!
En 1790, Mozart, à 34 ans, très affaibli, n’a plus qu’un an à vivre. Il a fêté la Saint-Sylestre chez lui, dans son petit appartement viennois, avec Haydn et son très fortuné protecteur, le « frère » en Maçonnerie Puchberg, lequel lui dispute âprement, gagés sur ses futurs honoraires, les florins que lui quémande régulièrement le compositeur aux abois. Commande de Joseph II, empereur lui-même malade au point que celui-ci n’assistera à aucune représentation de l’opéra, et meurt d’ailleurs dès le mois de février de cette même année, Cosi fan tutte ne naît pas sous les meilleurs auspices. Lorenzo da Ponte en a écrit le livret : après les Noces de Figaro et Don Giovanni, son ultime opus mozartien.
Peu plausible dans la réalité, l’intrigue n’en est pas moins, selon les conventions du temps, parfaitement vraisemblable sur scène: deux amis, Ferrando et Guglielmo, pour tester la fidélité de leurs fiancées Dorabella et Fiordiligi, font mine d’être mobilisés et de devoir partir à la guerre. Alors que la soubrette Despina invite les demoiselles à prendre du bon temps en leur absence, les deux gusses se déguisent en « Albanais », chacun draguant la promise de l’autre… Morale de l’histoire : la libido étant ce qu’elle est, « Ainsi font-elles toutes ! ». Opéra buffa composite, Cosi…, sous ses dehors de comédie burlesque, a les mêmes accents sacrés qui, en 1791, caractériseront La Flûte enchantée, le sublime testament lyrique de Mozart.
Le 10 juin dernier, en assistant à la première à l’Opéra-Bastille dans la régie de la chorégraphe Anne Teresa De Keermaeker millésimée 2017 et dont c’est à présent la troisième reprise (en 2020, les représentations avaient été annulées pour cause de Covid), nous revenait en mémoire, par comparaison, la vibrante mise en scène de Patrice Chéreau, au Palais Garnier, sur des décors de Richard Peduzzi. Ou encore celle, tellement inventive, de Dmitri Tcherniakov, l’an passé, à Aix-en-Provence.
Il faut donner chair à la thématique échangiste qui préside à l’intrigue. Sinon ça ne colle pas. Or l’abstraction géométrique dans laquelle la présente mise en scène enferme les protagonistes– le quadrilatère de arrière-scène entièrement ripoliné de blanc, sous une lumière glaciale (qui colorera transitoirement – pour figurer l’éréthisme orgasmique, qui sait ?) se double d’une chorégraphie qui voit les chanteurs, de bout en bout, flanqués de danseurs virevoltant autour d’eux et qui leur impriment, comme par contagion, d’inquiétantes flexions corporelles… Le résultat, c’est que l’attention du spectateur, au lieu de se concentrer sur les protagonistes, est constamment distraite par ces doublons grotesques, mal attifés et pas spécialement beaux. Sans que n’advienne l’osmose entre le chant et le corps que d’un tel parti pris l’on serait en droit d’attendre…
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Bref, comme souvent à l’opéra, il faut donc s’en remettre à la partition pour savourer ce chef-d’œuvre inégalable. Sous la baguette de Pablo Heras-Casado, l’Orchestre de l’Opéra de Paris en restitue toute la délicatesse et la suavité. Ferrando, sous les traits du ténor canadien Josh Lovell, est aussi convainquant vocalement que son compatriote le baryton-basse Gordon Bintner, qui campe un Guglielmo de bonne facture. La toute jeune soprano coréenne Hera Hyesang Park fait une Despina espiègle, à la ligne de chant limpide. Si Vannina Santoni, dans le rôle de Fiordiligi, n’était pas dans sa meilleure forme lors de la première, c’est une de nos meilleures sopranos. Quant aux arias de l’Américaine Angela Brower en Dorabella, ils vous enchaînent si puissamment qu’on se prend d’impatience à la retrouver dans ce même emploi, le 24 septembre prochain, au Théâtre des Champs Élysées, mais cette fois dans un Cosi en version concert : l’assurance que le spectacle ne vous gâche pas la musique…
Cosi fan tutte, Opéra buffa en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart. Direction : Pablo-Heras-Casado. Mise en scène et chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker. Avec Vannina Santoni (Fiordiligi), Angela Brower (Dorabella), Hera Hyesang Park (Despina), Josh Lovell (Ferrando), Gordon Bintner (Guglielmo), Paulo Szot (Don Alfonso). Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris. Et les danseurs de la Compagnie Rosas.
Palais Garnier, les 15, 18, 21, 24, 26 juin et 1, 3, 5, 9 juillet à 19h30. Le 7 juillet à 14h30.
Durée : 3h25
Cosi fan tutte en version concertµ
Direction : Marc Minkowski. Les Musiciens du Louvre. Avec Ana Maria Labin, Angela Brower, James Ley, Leon Kosavic, Miriam Albano, Alexandre Duhamel.
Théâtre des Champs-Elysées, le 24 septembre à 19h30.
Durée : 3h.
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