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Un cinéma dans la circulation des temps

Un film qui revisite l'époque du confinement


Un cinéma dans la circulation des temps
L'actrice Nine d’Urso dans le film « Hors du temps ». © Carole Bethuel

Avec Hors du temps, Olivier Assayas revisite l’expérience du confinement qu’il a passé dans sa maison d’enfance. Une rétrospective à la Cinémathèque permet de redécouvrir l’intégralité de son oeuvre jusqu’à présent.


Hors du temps, vraiment ? C’est là le titre du dernier film d’Olivier Assayas. Il se replonge dans le temps suspendu qu’a constitué pour presque tous le confinement : dans l’attente d’un vaccin, les autorités ont tenu captif un peuple entier, dans l’incertitude des modes de contagion d’une maladie somme toute bénigne dans la plupart des cas… Assayas a ce privilège de posséder une  maison dans la vallée de Chevreuse, celle de feu ses parents, isolée par le grand parc du château attenant, qui toute son enfance était ouvert à ses jeux et à sa rêverie. La voix off du cinéaste aujourd’hui âgé de 69 ans décrit ce paradis perdu et retrouvé, commentaire d’un film qui semble emprunter de prime abord au documentaire. Car c’est bien dans cet ermitage intact qu’il a pu trouver refuge en ce printemps 2021 tellement ensoleillé, où chacun, par force, vivait cloîtré.

Pétrie de nostalgie et de facture toute classique, cette approche se redouble, en alternance, d’un film de fiction dans lequel Assayas emprunte avec esprit les traits forts différents, au physique, du comédien Vincent Macaigne (lequel a déjà joué dans trois de ses longs métrages), et Michel Lescot ceux de son frère musicien, Micka : ici prénommés Paul et Etienne. S’y greffent leurs compagnes respectives, Morgane (Nina d’Urso) et Carole (Nora Hamzawi)…  Hors du temps navigue ainsi, avec une certaine fantaisie qui touche parfois au burlesque (cf. le sketch désopilant du récurage sans fin de la casserole), dans ce microcosme qui ranime, sous la contrainte de la distanciation, des fameux gestes barrière et de ces protocoles prophylactiques (rétrospectivement insensés !), les vieilles rancœurs entre frangins mal assortis, les névroses affleurantes (l’excellente comédienne Dominique Reymond, qu’on regrette de ne pas voir assez à l’écran, mais qui n’a pas eu que des seconds rôles dans plusieurs films d’Assayas, campe ici la psy en télé-séances minutées avec Paul). Tout en déployant les rituels propres aux familles dites recomposées – la fille adolescente de Paul, en garde partagée, sur d’éducation de laquelle veille tour à tour chaque parent…

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Le vaudeville familial se combine adroitement, mais de façon insolite, au regard contemplatif de l’artiste Assayas, sur la Nature dont il déplore, avec David Hockney, son peintre contemporain favori, qu’elle déserte aujourd’hui la pensée poétique – l’écologie relevant d’un autre champ de réflexion. Nourri dès son plus jeune âge d’une belle culture plastique (son père n’était-il pas collectionneur, et ne fut-il pas lui-même graphiste à ses débuts ?), le cinéaste reste autant esthète que politique : chez lui, tout circule.

L’intéressant, chez Assayas, c’est précisément cet éclectisme qui, de film en film, et de façon à chaque fois singulière, authentique et très personnelle, lui fait regarder le monde sous toutes les coutures. De Demonlover (2002) à la série Carlos (2010), d’Irma Vep (1996) à Sils Maria (2014), son cinéma touche à tous les genres, du thriller à l’anticipation, en passant par la saga historique. Mais ce qui frappe, toujours, c’est ce don d’observation qui lui fait voir les choses attentivement, telles qu’elles sont, sans faux-semblants et sans le moindre anachronisme, jamais.

Dans cette optique, Hors du temps mérite d’être remis en perspective, comme nous y invite à présent la Cinémathèque française, avec cette rétrospective intégrale de la filmographie d’Olivier Assayas : il faut revoir absolument Les destinées sentimentales (2000), par exemple – film magnifique, sur la réussite industrielle d’une famille bourgeoise au tournant du XIXème siècle. Ou encore L’heure d’été (2008), qui interroge avec une grande subtilité la question de l’héritage patrimonial.

Assayas est un moderne qui sait regarder le passé. C’est une promesse d’avenir : on attend de voir en 2025 Le Mage du Kremlin, son prochain film, adaptation du roman de Giuliano da Empoli, sur un scénario signé Emmanuel Carrère, avec Jude Law au casting…


Hors du temps. Film d’Olivier Assayas. Avec Vincent Macaigne, Micha Lescot, Nino d’Urso, Nora Hamzawi. France, couleur, 2024. Durée : 1h45.
En salles le 19 juin
Rétrospective intégrale des films d’Olivier Assayas. Cinémathèque française.
Jusqu’au 4 juillet



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