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Un cheval nommé désir !

Paysan-mécano devenu roi de l’asphalte.


Un cheval nommé désir !
Enzo Ferrari / Capture d'écran d'une vidéo YouTube de la chaine Le Circuit, du 23/08/19

« Enzo Ferrari – Le rouge et le noir », un documentaire d’Enrico Cerasuolo à visionner sur le site d’Arte durant les fêtes de Noël, nous replonge dans le monde d’un ingénieur-artiste qui incarnait une certaine civilisation hédoniste.


A l’ère des « petits hommes », sans éclat et sans nerf, de l’éloge de la lenteur et de la terreur idéologique, le « Commendatore » né en 1898 ne comprendrait rien à cette époque flasque et apeurée. Il nous trouverait lâches et dociles, ayant perdu le sens du duel et de l’exploit, s’arcboutant sur notre confort intellectuel et nos aspirations étriquées. A la mobilité sentencieuse et revancharde de nos gouvernants, il répondrait « vitesse » et « performance » mais aussi « symphonie » et « sculpture ».

Iconique

C’était un pionnier, un empereur, un pape, un entrepreneur, un géant de l’automobile tantôt tyran, tantôt sentimental, comme seul le XXème siècle était capable de faire naître et prospérer dans la campagne d’Émilie-Romagne. Un paysan-mécano devenu roi de l’asphalte, hissant sa couleur rouge dans le cœur des enfants et sur le podium des circuits. De Modène à Maranello, de Shangaï à Pebble Beach, son nom est un mythe roulant que les garçons se répètent en s’endormant.

Rouler un jour en Ferrari est un but pour nombre d’entre nous, une ambition intime et un voyage ailleurs, dans un pays jusqu’alors inconnu. Car nous avons beau admirer les Porsche et les Maserati, la Ferrari demeure à part. Est-ce une voiture ou un phantasme ? Une œuvre d’art ou une allégorie ? Une divinité ou un rêve ? Cette pièce racée tient à conserver son standing, elle ne se mélange pas dans la circulation.

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Elle accepte son statut d’icône. La voir est un cadeau du ciel, la conduire un don de Dieu réservé à une poignée d’élus. Elle ne se dissimule pas sous une robe trop ample et ne cache pas ses inavouables intentions dans une mécanique vertueuse. Elle cherche à abolir le temps, à condenser notre existence, à transformer le mouvement, à nous transporter dans une réalité parallèle. Elle modifie nos sens. Son impudeur fait notre bonheur. Sa dissidence sauvage n’est pas factice. Son outrance sonore est probablement ce qui nous maintient en éveil, malgré les crises et les guerres.

Depuis son origine, la Ferrari a imposé sa propre dramaturgie et scénographie. Tel un poème épique, elle ne se commente pas, elle se conduit simplement dans sa chair. Avec humilité et dévotion. Chez elle, le bruit s’appelle musique et ses accélérations sont des apnées féériques qui guérissent tous les maux. Après elle, toutes les autres voitures nous paraîtront fades et timorées, un peu vaines, sans ardeur. Pour oser pénétrer dans son habitacle, on doit s’agenouiller. D’emblée, nous lui faisons allégeance. Nous acceptons sa supériorité et nous nous soumettons à son cérémonial. La ligne signée Pinin Farina, l’intérieur relativement dépouillé, la boîte en H grillagée, la position basse et les baquets enveloppants, puis le « douze cylindres » expectore, libère sa flamme et propulse sa hargne. Sa soif semble inextinguible. Sa démesure est une source de béatitude renouvelée à chaque pression sur la pédale de droite.

Industriel virtuose

La Ferrari vous jette les virages à la figure. Elle est violente et vous oblige à une vigilance permanente. Entre le deuxième et le troisième rapport, la Terre tremble. Assurément, nous sommes plus vivants à son bord. Et, nous communions ainsi avec les légendes du sport automobile, avec les archanges de la piste. Nous nous souvenons alors d’Ascari, de Fangio, de Villeneuve et de Lauda.

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La Ferrari, c’est l’Histoire de l’Italie, de l’Europe occidentale et d’une certaine civilisation hédoniste portée par l’avant-garde technologique et la beauté des formes, celle d’un artisan érigé en emblème national. Avant de savoir compter ou lire, les enfants en bas âge reconnaissent naturellement les créations de cet Italien aux lunettes fumées et à l’imperméable clair. Le documentaire « Enzo Ferrari – Le rouge et le noir », disponible gratuitement sur Arte jusqu’au 9 janvier 2023, retrace l’épopée de cet industriel virtuose qui travaillait pour l’éternité et les victoires. Les multinationales et les stars de cinéma lui faisaient la cour. Il tenait trop à son indépendance et à sa maison pour accepter notamment la tutelle de Ford. Il finit tout de même par intégrer la FIAT.

Mais Agnelli était un compatriote. Il ne supportait pas l’infidélité de ses collaborateurs et les caprices de ses pilotes. Il était colérique et charismatique. A la disparition de Dino, son fils chéri, il déclara : « Je pense que seule la douleur peut faire grandir un homme ». Il est mort en 1988 et son cheval cabré trotte toujours dans nos têtes.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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