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Un bon copain

Richard Ferrand, un drôle de Sage ?


Un bon copain
Richard Ferrand photographié à Paris le 8 mai 2018 © Witt/ CHAMUSSY/SIPA

Emmanuel Macron a proposé Richard Ferrand pour succéder à Laurent Fabius à la tête du Conseil constitutionnel. Âgé de 62 ans, M. Ferrand est un fidèle de la première heure de M. Macron et l’ancien président de l’Assemblée nationale (2018-2022). L’Élysée a annoncé cette nomination dans un communiqué lundi soir. Son nom revenait souvent ces dernières semaines. Un choix qui remet en cause l’impartialité du président, selon de nombreux observateurs.


La nomination – ou du moins, le choix présidentiel – de Richard Ferrand pour le Conseil constitutionnel suscite polémiques et grincements de dents. Dès dimanche, Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des sceaux socialiste, jugeait cette décision consternante. Dans Le Monde, selon deux juristes éminents[1], l’affaire révèle que « nos gouvernants voient ces hautes nominations comme un portefeuille de faveurs à distribuer à leurs proches sur des critères exclusifs de proximité politique ». Ferrand n’est pas juriste – il a fait deux ans de droit – mais après la Cour de Comptes et le Conseil d’Etat, c’est le troisième socialiste nommé par Emmanuel Macron. Pas de en-même-temps, dans ce domaine !

La bonne affaire immobilière brestoise de Mme Ferrand

Curieusement, ce matin, la presse a des pudeurs de gazelle : personne ne reparle de l’affaire des Mutuelles de Bretagne. Les faits sont pourtant reconnus. Lorsque Richard Ferrand en était le DG, sa compagne a pu acquérir un bien immobilier sans débourser un centime (l’achat a été entièrement financé par un emprunt bancaire, car elle bénéficiait de la garantie de location des Mutuelles de Bretagne…). Le bien a ensuite été rénové par la mutuelle, et a donc pris beaucoup de valeur. Une très jolie opération. Après un premier classement sans suite à Brest, il y a eu ensuite une plainte d’Anticor, et une mise en examen de M. Ferrand pour prise illégale d’intérêts. Finalement, l’affaire est classée en 2022 pour prescription.

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L’absence de faute pénale n’efface pas la faute morale. La compagne de M. Ferrand a fait une affaire juteuse avec les Mutuelles de Bretagne qu’il dirigeait. Comme le dit une vieille blague juive, c’est cacher (« légal ») mais ça pue !

Un archi-fidèle

En réalité, le seul titre de M. Ferrand pour trôner au sommet de l’Etat de droit, c’est d’être un ultra-fidèle d’Emmanuel Macron. Si on ajoute qu’en 2023, il proposait carrément de changer les règles limitant le nombre de mandats présidentiels (et empêchant Emmanuel Macron de se représenter !), on comprend que, pour la République irréprochable, on attendra peut-être le dixième mandat…

On me reproche d’être naïve, on me dit que ce n’est pas nouveau et qu’on a toujours nommé des proches à ces postes. Peut-être, mais on peut aussi choisir des proches qui ont les titres universitaires qui vont avec une si haute fonction, et peut-être plus honorables. Il n’est pas inutile de connaître le droit, même si ce poste est aussi politique que juridique, ou précisément pour cette raison. Les décisions du Conseil constitutionnel ont un impact de plus en plus considérable sur notre vie publique, elles doivent échapper au soupçon de politisation.

De plus, le Conseil constitutionnel ne se contente plus comme en 1958 de vérifier la conformité des lois votées au Parlement à la Constitution. En élargissant à l’américaine le corpus constitutionnel auquel les lois doivent se conformer, jusqu’à de fumeux « principes généraux du droit » dont l’alambic est parfois fort mystérieux, le Conseil constitutionnel s’est arrogé un très grand pouvoir d’interprétation. Comme le Conseil d’Etat et la CEDH, le Conseil constitutionnel est toujours très sourcilleux sur les droits et garanties des individus (notamment les étrangers ou les délinquants qui doivent évidemment voir leurs droits assurés devant la Justice), jamais sur ceux de la collectivité. Il est donc devenu une juridiction (et ce n’est pas ce que voulaient de Gaulle et Debré). Il est déjà difficile pour les Français d’accepter qu’il puisse annuler des lois qui, selon la vieille formule, sont l’expression de la volonté générale ; le minimum, c’est qu’il semble impartial. Personne ne pourra sans rire qualifier Richard Ferrand de sage.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy chez Jean-Jacques Bourdin dans la matinale


[1] Dominique Chagnollaud et Jules Lepoutre https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/02/09/la-nomination-envisagee-de-richard-ferrand-a-la-presidence-du-conseil-constitutionnel-eclaire-le-peu-de-consideration-d-une-partie-de-notre-classe-politique-a-l-egard-de-cette-institution_6538326_3232.html



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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