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Un beau livre pour les affreux


Un beau livre pour les affreux
Calamity Jane
Calamity Jane
Calamity Jane

C’est entendu, les beaux livres, en général, sont laids et inintéressants. On offre à Noël une histoire de la peinture impressionniste, des instruments agricoles dans la culture amish ou encore, et ce serait ce qu’il y a de moins pire, des pochettes de 45 tours de l’époque yéyé. On sait qu’ils ne seront pas lus, qu’il resteront purement décoratifs sur la table du salon et les Anglais qui sont bien plus hypocrites que nous en manière de convenances sociales ont même un mot pour ça : les « coffee table books« .

Ils ont toujours ces beaux livres, des formats aussi maniables qu’un char Abrams dans une ruelle de Fallouja et sont remplis de jolies photos où il semble que les photographes, avec une indécence aussi esthétique que métaphysique mettent le même soin à rendre les contrastes de la série des Nymphéas, d’un cadavre de bonne sœur pendant la guerre d’Espagne ou d’un vistemboir[1. Un clin d’œil pour les lecteurs de Jacques Perret. (Et les autres, ils font quoi ? EL)] dans une ferme de Pennsylvanie. Quant aux textes, ils sont en général étiques et insipides, proses fatiguées d’écrivains commis d’office qui avaient besoin d’argent[2. C’est un mal endémique dans la profession, faut comprendre.] ou de spécialistes aussi ennuyeux qu’un jour sans pain d’épices. Ces beaux livres, d’ailleurs, coûtent un prix fou, sont retrouvés six mois après dans des solderies et se sont surtout arrachés dans les salles de rédaction où chaque journaliste veut en traiter un maximum pour les suppléments spéciaux des journaux de fin d’année et par la même occasion s’octroyer un substantiel complément de revenus en revendant ces services de presses sur papier glacés.

Maintenant, oubliez tout ce que je viens de dire, souvenez vous que les exceptions confirment la règle et allez (vous) offrir Hors la loi de Laurent Maréchaux chez Arthaud.
Sous-titré « Anarchistes, illégalistes, as de la gâchette…, ils ont choisi la liberté », il satisfera autant l’anarchiste que le libertarien, l’amateur de poésie surréaliste que le révolutionnaire kominternien.

Simplement, Laurent Maréchaux a voulu rendre hommage, en notre époque d’approbation généralisée, à ces magnifiques figures du dur et beau travail du Négatif, à ceux pour qui, comme aimait à le dire Debord, « il n’y aura nulle réconciliation possible avec ce monde-là ».
Hors la loi de Maréchaux est d’abord une paradoxale tentative de mise en ordre chronologique et thématique de ces hommes et femmes qui n’aimaient que le bruit, la fureur, la résistance, l’excès, la violence, la lutte, la contradiction, l’odeur de la poudre et ont embrassé plus souvent qu’à leur tour la lame de la guillotine, le nœud coulant des justices hâtives de l’ouest américain ou le visage blême de l’exécution sommaire par des policiers avides de gloire médiatique.

Le générique est impressionnant et fait rêver. On commence par une femme, la Kahina, reine et guerrière, infatigable résistante kabyle à l’invasion arabe, pionnière des techniques de guérilla et l’on termine par Jacques Mesrine et François Besse que l’on ne présente plus sauf quand on est Laurent Maréchaux, c’est à dire un véritable écrivain, et que l’on sait redonner des couleurs à un sujet apparemment rebattu. Mais la collection d’affreux glorieux est de toute manière un régal pour le gourmet : il sera question de Villon et de Rimbaud, des pirates et corsaires Jehan Ango, Edward Teach et de leur consœur Ching Shih qui écuma la mer de Chine au début du XIXème siècle et ajouta une touche de modération féminine à son goût du carnage : « Personne ne devra débaucher pour son plaisir les felles captives prises dans les villages et amenées à bord.»

Maréchaux a su ici offrir une jolie théorie des exceptions, au sens premier du mot. Sublimés par une iconographie documentaire somptueuse et souvent inédite, c’est un plaisir renouvelé de croiser Bonnot et Victor Serge, le second ayant été le théoricien du premier avant d’entamer sa carrière de révolutionnaire professionnel.

Sont ainsi réunis dans cette auberge charmante des figures aussi différentes que Camility Jane (beaucoup moins calamiteuse que les Dalton, eux aussi de la fête) et Marius Jacob, l’illégaliste qui servit de modèle pour Arsène Lupin ou encore Thoreau et Phoolen Devi, la reine indienne des brigands tuée par la police en 2001.

Il semble bien que le sujet même de ce livre encourage finalement à la reprise individuelle : autrement dit, si vous n’avez pas d’argent, volez-le. C’est un hommage que comprendra certainement l’excellent Maréchaux, par ailleurs auteur de plusieurs romans au Dilettante.



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