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Un automne avec Verlaine


Revenir à Verlaine, c’est refaire un voyage d’automne. On peut varier les guides, l’enchantement demeure intact, parce que Verlaine est le poète des saisons mentales, du bonheur d’être triste, des douleurs qui descendent doucement le versant de l’accalmie. Pour cette fois, en guise de compagnon de promenade dans l’œuvre verlainienne, on choisira Jean-Baptiste Baronian, déjà auteur d’une biographie chez Folio du « pauvre Lélian »[1. Anagramme de Paul Verlaine et surnom que se donnait lui-même le poète.] aussi vivante que pédagogique.

Baronian nous présente Cent poèmes de Paul Verlaine (Omnibus) dans un livre à l’iconographie aussi étudiée que l’agencement des textes en une demi douzaine de thèmes abordant notamment l’errance, la mélancolie, la Foi ou l’érotisme. Watteau et les impressionnistes sont évidemment là, de Manet à Monet, de Sérusier à Pissarro, de Renoir à Sisley sans compter quelques admirables préraphaélites comme Dante Gabriel Rossetti. Il ne s’agit pas simplement d’illustrer des poèmes mais d’aller au plus près de cette économie de la correspondance entre les sensations, les paysages et les états d’âme qui est au cœur de l’art poétique de Verlaine comme elle le fut pour Baudelaire et Rimbaud. Mais cela n’empêche pas Baronian, au nom de cette idée de correspondance, de faire appel à des artistes plus inattendus comme Rudolf Frenz, peintre soviétique qui échappa au réalisme socialiste, dont le magnifique Carrousel est mis en regard du poème bruxellois Chevaux de bois :

« Tournez, tournez sans qu’il soit besoin
d’user jamais de nuls éperons,
Pour commander à vos galops ronds,
Tournez, tournez sans espoir de foin.
»

Baronian, au travers de son choix, nous invite à dépasser l’image d’un Verlaine limité à quelques recueils qui iraient des Poèmes saturniens aux Romances sans paroles, rejetant tout ce qui suit dans les ténèbres extérieures d’une poésie se pastichant elle-même, se tuant dans une trop grande virtuosité, celle des ivrognes loquaces jusqu’au cœur même de leur ivrognerie. De manière assez convaincante, Baronian a ainsi exhumé des poèmes méconnus, comme ceux adressés à ses camarades du monde des lettres, Coppée le populaire, Mallarmé l’hermétique, Mirbeau le coléreux ou encore Montesquiou-Fézensac qui servira vingt ans plus tard à Proust de modèle au baron de Charlus dans La recherche du temps perdu : « J’admire le penseur subtil et l’âpre esthète ».

On voit ainsi un Verlaine, au-delà de la découverte de Rimbaud, qui est une véritable tour de contrôle du monde littéraire de son temps, admiré par ses pairs en déveine et en guignon qu’il a célébrés dans Les poètes maudits, mais détesté par les notables des lettres comme Edmond de Goncourt, dont le Journal est un tel summum de méchanceté qu’il en devient presque comique. Goncourt écrit à la date du 1er janvier 1893 : « Malédiction sur ce Verlaine, ce soûlard, ce pédéraste, sur cet assassin, ce conard (si, si un seul n ici, c’est à dire une seule haine) traversé de temps en temps des peurs de l’enfer qui le font chier dans ses culottes, malédiction sur ce grand pervertisseur qui, par son talent, a fait école dans la jeunesse lettrée, de tous les mauvais appétits ; de tous les goûts antinaturels, de tout ce qui est dégoût et horreur. » On reconnaitra qu’un tel hommage de la vertu bourgeoise au vice bohème fait davantage pour une légende durable que la plus élogieuse des critiques ou la plus fouillée des études universitaires.

Comme chez nombre de grands écrivains, on trouve chez Verlaine ce qu’on y apporte. C’est le syndrome auberge espagnole du génie. Aussi, Jean-Baptiste Baronian qui est belge et grand bibliophile, deux passions joyeuses et désespérées à la fois, insiste sur un Verlaine qui a peint comme personne le plat pays :

« Swells de Bruxelles et gratin de la Campine
Malins de Malines, élégants de Gand
A Linos, Orpheus et leur race divine
Jetez le caleçon, relevez leur gant. »
et ne trouve plus son bonheur, déjà, dans les boîtes des quais parisiens:
« Mais bouquiner n’y plus songer ! De vils pisteurs
Pour les libraires ont exercé leur ravage,
Et les boîtes ont fait la nique aux amateurs.
»

Décidément, la musique familière revient vite et avec elle ce questionnement lancinant : est-ce le vert ambré de l’absinthe ou l’inquiétude mélancolique devant une sainteté impossible qui donna à la poésie de Paul Verlaine ce rythme impair comme celui d’une tachycardie ? Il fut l’un des premiers à briser les réflexes conditionnés de lecteurs habitués à la versification classique et poussa jusqu’à l’extrême les capacités de résistance de la syntaxe pour faire rendre à la langue tout ce qu’elle contenait de musique.
Verlaine, c’est notre plus délicat docteur des allitérations, notre plus subtil spécialiste des assonances, notre assassin suave de la césure. Il a transformé ses conflits intérieurs en paysages choisis de Watteau où sa silhouette incongrue et magnifique de Silène crispé erre pour l’éternité .

Rejoignez-le, le temps de cette anthologie.



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