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Un amour de haine


Quel délice ! Tu viens enfin de me porter tort ! Tu viens enfin de commettre contre moi un préjudice parfaitement objectif, manifeste, précis et indubitable ! Quelle joie ! En perpétrant contre moi ce forfait délicieux, tu viens de rehausser mon rang, d’accroître ma dignité, de ceindre mon front purifié de la couronne étincelante des justes offensés.

Par la grâce de ta mauvaise action, mes pieds sont délivrés pour un instant du morne sol commun. Ils peuvent maintenant fouler le tapis rouge réservé aux pieds honnêtes de qui est dans son bon droit.[access capability= »lire_inedits »] Il leur est enfin permis de gravir le piédestal des justes courroucés. J’ai raison, tu as tort. Je suis dans mon droit, tu es dans ton tort.

Je t’en voulais. Je t’en voulais depuis bien longtemps déjà. Je laissais bouillonner en moi ma haine contre toi, attisée d’être à elle-même presqu’inconnue, avivée aux feux les plus sales, les plus injustes, aux tristes feux de l’envie. Mais voici enfin que tu as commis cette faute que j’attendais avec gourmandise. À présent, le droit, le bon droit, la justice m’offrent leur admirable refuge, la noble scène où rêvait de danser contre toi ma haine. L’alibi inespéré de la justice m’autorise enfin à te haïr ! Contre toi, je vais avoir raison jusqu’à l’obscénité.

Les froides mathématiques de mon bon droit

Je me lance avec concupiscence dans les froides mathématiques de mon bon droit. J’ai raison, tu as tort. Je suis dans mon droit, tu es dans ton tort. Voici qu’impartialement devant toi je compte et recompte, doctement démontre et redémontre. Voici que j’examine chaque détail, me délecte de chaque circonstance aggravante. Je déploie interminablement les moindres replis du tort miraculeux dont tu m’as fait offrande, ne voulant pas perdre une miette de mon orgasme logique. Et voici qu’à chaque fois, le compte est bon : ton compte est bon. L’addition est formelle : tu dois tout payer.

Nous ne faisons plus partie de la même humanité, mon cher. Tu es intégralement dans ton tort, j’en suis désolé. Quant à moi, la légitimité de mon grief ne connaissant aucune limite, il était fatal que je devinsse l’incarnation de la justice céleste.

Peut-être aussi condescendrai-je bientôt à te pardonner ce tort, comme un tigre relâchant le rat qu’il étranglait entre ses griffes.

Ce faux pardon sera la dernière grimace de ma haine malheureuse.[/access]

Juillet-août 2011 . N°37 38

Article extrait du Magazine Causeur



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