Clásico ! Késaco ? Une demi-finale de la Ligue des Champions opposait les 27 avril et 3 mai le Real Madrid au FC Barcelone. Les deux équipes les plus célèbres d’Espagne s’étaient affrontées à deux autres reprises en avril, en Liga et en finale de la coupe du Roi. En quelques semaines, cinq authentiques Clásicos qui ont dû faire monter en flèche la production d’adrénaline ibérique.[access capability= »lire_inedits »]
À entendre les commentateurs sportifs de ce côté des Pyrénées, la France connaîtrait elle aussi ces affrontements à haute tension dans lesquels la compétition sportive décuple ou sublime d’antiques querelles de clocher ou de solides rivalités politiques. Clásico sans frontières ! Bien que notre pays n’ait pas été annexé par l’Espagne de José Luis Zapatero, les amateurs français de football ont bien dû entendre des centaines de fois ce mot espagnol pour désigner un match entre l’Olympique de Marseille et le Paris Saint-Germain. Le problème, c’est que les deux situations n’ont rien à voir. Si le contentieux entre Madrid et Barcelone prend ses racines dans une histoire tourmentée, l’inimitié, voire la haine, entre supporteurs parisiens et marseillais a été fabriquée puis entretenue par des dirigeants plus soucieux de profit que de beau jeu.
Entre le Real Madrid et le Barça, le club du Roi et l’emblème sportif d’une Catalogne aux velléités indépendantistes, ce n’est pas seulement une affaire de foot. La centralisation franquiste est passée par là. Les supporters se haïssent pour de bon. Il faut dire qu’en Espagne comme en Italie, en Grèce et en Turquie, le football est une religion qui cristallise bien des passions identitaires. Les rivalités entre le Torino et la Juve, le Panathinaïkos et l’Olympiakos à Athènes ou entre Galatararay et Fenerbahce[1. Petite anecdote : lors de mon voyage de noces, il y a dix ans, j’ai acheté les maillots des trois équipes stambouliotes au Grand Bazar. Un conseil amical : ne tentez pas d’entrer dans un bus avec un maillot de Fenerbahce si, comme moi, vous avez un guide supporter de Galatasaray] de part et d’autre du Bosphore turc n’ont rien d’artificiel. Même en Grande-Bretagne, loin des passions méditerranéennes pour rejoindre la Grande-Bretagne, la guerre des clubs ne fait guère dans le style british. À Glasgow, les catholiques du Celtic disputent le titre aux Rangers protestants depuis que le championnat écossais existe. À Londres, une bonne demi-douzaine de clubs participe à la Premier League. Les supporters boivent leur pinte de bière dans des pubs affichant l’étendard de leur équipe où il n’est pas conseillé de s’aventurer avec le maillot d’un club ennemi. Un de mes amis m’a juré avoir remarqué un panneau à l’entrée d’un pub aux couleurs d’Arsenal : « Interdit aux chiens et aux supporters de Tottenham. » Cela doit être l’humour hooligan.
La France, à côté, semble bien plus raisonnable. On y aime le foot, mais on n’y est pas prêt à s’étriper durant des générations autour du ballon rond. Certes, il y a l’exception Lyon/Saint-Etienne mais, dans ce cas, la rivalité sportive prend racine dans la vieille haine de classe entre la cité bourgeoise et la ville ouvrière. Je me souviens, par exemple, d’une banderole déployée par les Lyonnais pour accueillir les supporters stéphanois, qui proclamait en substance : « Pendant que vos pères crevaient à la mine, les nôtres inventaient le cinéma »[2. Á un degré moindre, on peut également citer Lille-Lens et Nancy-Metz].
Mais revenons à Marseille et à Paris. Jusqu’au début des années 1990, période au cours de laquelle le club provençal domine le football français, il n’y a aucune rivalité entre les deux clubs, ni de haine particulière entre leurs supporters, juste la dose de chauvinisme local qui pimente les rencontres. Or, dans un ouvrage paru en 2007, Daniel Riolo et Jean-François Pérès expliquent que c’est la prise de contrôle du club parisien par Canal+ qui déclenche la guerre des tribunes[3. OM-PSG, PSG-OM : les meilleurs ennemis, enquête sur une rivalité, Mango éditions. ]. Détentrice des droits de diffusion audiovisuels, la chaîne cryptée veut vendre des abonnements.
Elle investit donc dans le club de la capitale et place à sa tête Michel Denisot, actuel présentateur du « Grand Journal ». Tapie et Denisot, expliquent les auteurs, vont donc, dans une logique « gagnant-gagnant » davantage sonnante et trébuchante que sportive, se mettre d’accord pour employer un vocabulaire guerrier et adopter une stratégie de la tension, bref pour chauffer à blanc les joueurs, ce qui, très vite, déteindra sur les supporters. La détestation que se vouent les joueurs du PSG et ceux de l’OM aura des répercussions sur la sélection nationale, coûtant à notre pays sa qualification pour la Coupe du monde aux Etats-Unis : l’atmosphère entre parisiens et marseillais au sein des « Bleus » était encore plus irrespirable que l’air sud-africain l’été dernier.
Plus tard, Tapie et Denisot quittent le football. Les joueurs se calment. Mais pas les supporters. Dépourvue de tout ancrage politique, culturel ou social, la haine réciproque qui les aveugle est le fruit pourri de la volonté de vendre des décodeurs. Et elle continue à gâcher la fête, la « magie du sport » dégénérant régulièrement en batailles rangées. Bus caillassés, quartiers mis à sac : après chaque confrontation entre les deux clubs ou presque, on compte les blessés plutôt que les buts. Cet affrontement insensé qui stupéfie la France et désespère les supporters « normaux » bilan perdure dix-huit ans, jusqu’à ce que les successeurs de Tapie et Denisot, Jean-Claude Dassier et Robin Leproux, décident de supprimer tout déplacement organisé des supporters. Puisqu’ils ne se rencontrent plus, ils ne se castagnent plus.
Alors, à chaque fois que je vois Tapie et Denisot parader sur les plateaux de télévision, je me dis qu’on pourrait leur demander de rembourser les sommes que le contribuable a dû débourser pour mobiliser des bataillons de CRS, ou celles que chacun d’entre nous a payées en surcroît de primes d’assurances, etc…Pour la tristesse qu’ils ont infligée aux amateurs et le coup qu’ils ont porté aux « valeurs du sport », il n’y a malheureusement rien à faire. Voilà pourquoi, quand j’entends un journaliste parler de Clásico à propos d’OM-PSG, j’ai envie de sortir mon revolver. Et même de tirer, si c’est un journaliste de Canal +. Pas d’inquiétude, je n’ai pas de revolver. Et je ne suis pas un marchand de foot dopé à l’avidité maquillée en passion sportive.
[/access]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !