Techniquement, la grosse colère piquée ce mardi par le Premier ministre contre les éléments les plus regimbeurs de sa majorité est tout à fait justifiée : ce n’est pas le meilleur moment pour déballer son linge familial tout cradingue face caméras. « Entre les deux tours, a-t-il dit, nous sommes engagés ensemble dans un combat et tous ceux qui veulent par des critiques, qui sont des critiques inutiles, affaiblir la majorité commettent une faute contre cette majorité. » A priori, l’argument est imparable, le B-A BA de la tactique implique qu’on attende dimanche 20 heures pour se livrer à ce genre de sport.
Sauf qu’il n’est pas dit que lesdites critiques, qui ne manqueront pas de se multiplier après l’heure fatidique des premières estimations, seront mieux reçues. Depuis deux ans et demi, dans la majorité présidentielle, la moindre appréciation nuancée relève de la Haute Cour. Nicolas Sarkozy ne veut voir qu’une tête, en l’occurrence, la sienne. C’est un des revers de la pratique managériale qui tient désormais lieu de Constitution secrète à la néo-Ve. Ou bien on est avec Coca à 100 %, ou alors on fait le jeu de Pepsi. Point barre. Au passage, le revers de ce revers étant que plus on exprime son accord total avec le Président, plus on progresse dans l’organigramme. À l’arrivée, ça donne un Estrosi, un Chatel ou une Penchard au conseil des ministres, mais c’est une autre histoire…
Revenons à nos moutons noirs de l’UMP. Qu’a dit de si grave, par exemple, Alain Juppé ? Eh bien, il a osé écrire sur son blog qu’« une réflexion s’impose désormais sur le rythme des réformes, la méthode selon laquelle elles sont lancées et préparées, la concertation qui les accompagne, la façon dont elles peuvent être mieux comprises et acceptées par une opinion que la crise déboussole ». On ne peut pas dire que ce soit extrêmement violent. Ni même que ça ne relève pas du bon sens minimal. Ça acte juste qu’il y a comme un problème quelque part, sinon on voit mal pourquoi, ce dimanche-là, les électeurs UMP ont préféré faire la queue chez Leroy-Merlin plutôt qu’au bureau de vote. Mais il faut croire que se poser ce genre de questions – ne serait-ce que dans un blog – c’est jouer contre son camp, pour reprendre une de ces délicieuses métaphores footballistiques dont nos politiques – ou leurs nègres sous-payés – émaillent leurs déclarations. Bref, Alain, soit tu la fermes, soit tu viens écrire sous pseudo chez Causeur (mais alors, essaye de rajouter quelques gags), soit tu tiens ton blog en copiant/collant les analyses de fond de Frédéric Lefebvre, genre « les p’tits gars, rien est foutu, tout est possible, y’ a qu’à convaincre les abstentionnistes !… »
Sauf que là aussi ça craint sur les bordures. C’est bien beau de décréter la mobilisation générale pour ramener les électeurs de droite aux urnes. Mais qu’est-ce qu’on leur raconte de funky pour les remettre dans le droit chemin ? D’où la question toute bête que pose un autre mouton noir, Ladislas Poniatowski : « Nos leaders nationaux de l’UMP ne peuvent pas dire qu’il y a une masse de gens à aller convaincre de venir voter. Je pense que la première tâche pour les convaincre, c’est de les écouter. »
Et là, pour le coup, on comprend que Fillon soit colère : c’est pile poil la question qu’il ne fallait pas poser. Parce que l’équation est rigoureusement insoluble. L’UMP en panique court après trois lièvres différents : le dedroite boudeur, l’écolo indécis et l’ex-lepeniste converti au sarkozysme et 2007 et redevenu lepéniste depuis. Or, les stratégies de reconquête des uns et des autres sont antagoniques. Plus on en fait des tonnes (et ces jours-ci, ça y va !) sur le Grenelle de l’Environnement, et donc sur la taxe carbone, plus on dissuade le plombier UMP d’Aubusson de se bouger les miches dimanche. Et quand on insiste lourdement sur la sécurité, on dissuade du même coup les électeurs hulotistes CSP++ d’avoir un autre vote au second tour que celui préconisé par Cécile Duflot. Et ainsi de suite…
Le grand écart, c’est spectaculaire, mais c’est un sport dangereux. Faut de la souplesse, et aussi de l’entraînement. Sans quoi, on risque de se faire mal. Très mal même. Et au mauvais endroit…
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