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Révo cul dans l’UMPop


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Alan Greenspan, ancien gouverneur de la « Fed », la Banque fédérale  des États-Unis, avait coutume de clore ses conférences de presse en affirmant : « Si vous avez compris ce que je viens de vous dire, c’est que je me suis mal exprimé ! » C’est un peu l’état d’esprit de celui qui ose s’essayer à exposer clairement la situation actuelle de l’UMP, principal parti de la droite française dite « républicaine », une mission quasi impossible. Les catégories usuelles de la science politique, notamment l’inévitable triptyque – légitimiste, orléaniste, bonapartiste – de feu René Rémond ne sont d’aucune aide pour comprendre ce qui se trame en ce moment à l’UMP. Un exemple : François Fillon et Jean-François Copé, qui sont engagés dans un combat sans merci, sont tous deux issus du RPR, le premier de sa branche « séguiniste », le second de sa variante chiraquienne, deux sensibilités se réclamant du gaullisme orthodoxe. On n’y verra pas beaucoup plus clair en passant en revue les courants qui ont surgi à l’occasion de la calamiteuse élection de novembre 2012[1. Résultats du vote des motions : Droite forte (Guillaume Peltier) : 28% ; Droite sociale (Laurent Wauquiez) : 21,7% ; Humanistes (Jean-Pierre Raffarin) : 18% ; Gaullistes en mouvement (Michèle Alliot-Marie) : 12,3% ; Droite populaire (Thierry Mariani) 10,8%.]. Ce volet du scrutin interne au parti avait été éclipsé par le psychodrame – qui dure toujours – de l’élection pour la présidence, emportée d’un cheveu par Copé grâce à des manipulations habiles du vote par des membres de son camp, mais aussi parce que Fillon, pensant l’élection jouée d’avance, s’était refusé à trop mouiller sa chemise.
Entre ces courants, dont certains tiennent plus du clan, la porosité est la règle : une plongée en apnée dans Google nous apprend qu’un ponte de l’UMP peut parfaitement parrainer un courant, tout en figurant sur la liste des soutiens d’un autre, et vice versa. Ainsi a-t-on vu le copéiste Jean-Pierre Raffarin et le fillonien Bernard Accoyer sonner ensemble la charge contre les chevau-légers de la « Droite forte » (copéistes) pour défendre Nathalie Kosciusko-Morizet dans la primaire UMP à Paris…
De même, la participation des dirigeants de l’UMP à la « Manif pour tous » du 26 mai exige de l’observateur des capacités de décryptage de haut niveau : entre ceux qui, comme Copé, sont descendus dans la rue pour dénoncer la politique de François Hollande, ceux qui, tel Bernard Accoyer, ont défilé pour la seule « défense de la famille », ceux qui n’y sont pas allés parce qu’ils jugent que remettre en cause une loi votée par les deux chambres et avalisée par le Conseil constitutionnel est antirépublicain, et ceux qui sont restés chez eux parce qu’ils sont favorables au mariage gay, une chatte, même inscrite à l’UMP, n’y retrouverait pas ses petits.[access capability= »lire_inedits »]
Tout cela, objectera-t-on, ne reflète que le microcosme parisien observé au miroir grossissant de médias faisant leurs délices, sinon leur beurre, de la chronique quotidienne des intrigues du sérail. Le terrain, qui lui ne ment pas, serait à mille lieues de ces empoignades au sommet. Je suis pourtant au regret de décevoir ceux qui espèrent que la sagesse du peuple de droite pourrait ramener à la raison et à l’union les hauts responsables de l’UMP. Mon terrain à moi, celui d’une Haute-Savoie indécrottablement ancrée à droite – ses six députés UMP ont survécu à la vague rose de mai 2012 – est un lieu d’observation privilégié des failles ouvertes, ou rouvertes, par la défaite de Nicolas Sarkozy. En effet, en l’absence d’une opposition de gauche capable de disputer sérieusement à la droite les principaux leviers du pouvoir local – grandes mairies et conseil général –, le jeu des ambitions personnelles, plus ou moins fondées sur des oppositions idéologiques, s’y donne joyeux et libre cours. En réalité, la fusion des gaullistes du RPR avec une partie des libéraux de l’UDF, réalisée par Jacques Chirac à l’occasion de l’élection présidentielle de 2002, n’a pas survécu à la retraite politique de ce dernier.  Le rêve d’une « CDU  à la française », rassemblant de manière durable les diverses sensibilités de la droite, s’est fracassé sur les  dures réalités de la sociologie politique du pays.
Résultat : le patron de l’UMP haut-savoyarde, Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale et gaulliste pur sucre, est aujourd’hui contesté par les héritiers du courant « milloniste »[2. Charles Millon, membre de l’UDF et du Parti républicain, fut ministre de la Défense dans le gouvernement Juppé (1995-1997) et président de la Région Rhône-Alpes de 1988 à janvier 1999.], pour la plupart issus de Démocratie libérale, composante ultralibérale de l’UDF giscardienne dirigée par Alain Madelin. Ceux-là seraient prêts, au besoin, à conclure des alliances locales avec le FN, comme le fit naguère Charles Million en se maintenant à la tête de la région Rhône-Alpes grâce aux voix des lepénistes. Pour les prochaines municipales, Bernard Accoyer est partisan d’un accord départemental avec l’UDI de Borloo, qui garantirait le maintien du maire UDI d’Annecy, cité traditionnellement démocrate-chrétienne, en échange du soutien de ce parti aux candidats UMP sortants dans les autres municipalités. Cela n’empêche pas le « filloniste » Lionel Tardy, député d’Annecy, de manifester son intérêt pour le poste de premier magistrat de la ville-préfecture…
Pour comprendre ce qui se passe à l’UMP, on se reportera avec profit à l’expérience politique exotique qui, dans les années 1960 et 1970, mit aux prises Mao Zedong et ses adversaires au sein du Parti communiste chinois – d’où le titre de cet article[3. Revo cul dans la Chine pop est le titre d’un ouvrage décapant sur la révolution culturelle chinoise, paru en 1974 aux éditions 10/18, rédigé par des sinologues proches de l’Internationale situationniste de Guy Debord.]. Dépossédé de l’essentiel du pouvoir par Liu Shaoqi et Deng Xiaoping, le Grand Timonier lance, en 1964, la « Grande révolution culturelle prolétarienne », dont le mot d’ordre est : « Feu sur le quartier général ! » Il parvient, au prix de millions de victimes, à rétablir son autorité absolue sur le Parti et le pays jusqu’à sa mort, en 1976. Toutes proportions gardées, et les purges sanglantes en moins, la stratégie employée par Nicolas Sarkozy pour récupérer (démocratiquement) un pouvoir qui lui fut (démocratiquement) ôté ressemble étrangement à celle de Mao. Enfermé dans sa citadelle de la rue La Boétie, parlant peu mais agissant beaucoup (un nouveau genre ?), il n’hésite pas à lancer ses « gardes rouges » de la  « Droite forte », Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, idéologiquement cornaqués par le maurrassien Patrick Buisson, contre tous ceux qui pourraient prétendre lui barrer la route du retour vers l’Élysée. C’est en se réclamant de Sarkozy, et de personne d’autre, que la « Droite forte » est arrivée en tête des motions lors du vote de novembre 2012.
L’affrontement Fillon-Copé ayant eu pour conséquence de mettre Copé hors-jeu pour la présidentielle de 2017, celui-ci s’est « reprogrammé » pour 2022, date à laquelle il aura seulement 58 ans. Pour François Fillon, de dix ans son aîné, c’est 2017 ou rien : aussi a-t-il lâché la proie de la présidence de l’UMP pour l’ombre de la candidature – qui sera issue de la primaire de 2016. Dans les couloirs du parti, rares sont ceux qui le croient capable de résister plus d’une seconde à un retour en fanfare de Nicolas Sarkozy, alors qu’il ne contrôle pas la machine UMP.  On a d’ailleurs remarqué que l’offensive des « gardes rouges » évoqués précédemment contre la candidature NKM à Paris n’a pas été désavouée par Sarkozy. À en croire les augures, cet assaut ne devrait pas la priver de l’investiture, mais l’affaiblir suffisamment pour lui passer l’envie de briguer le califat en 2017…
D’accord, objecteront ceux qui se refusent à désespérer Neuilly, mais derrière ces querelles de personnes et d’ambitions, il existe tout de même un socle solide de valeurs et de convictions qui suffira, dans les moments décisifs, à remettre le parti en ordre de combat. Rappelons ce qu’on disait des gaullistes de la grande époque : « C’est une meute de loups qui se déchirent entre eux, mais chassent en meute… ». Admettons. Encore faudrait-il que le mâle dominant finisse de lécher ses blessures avant que la meute ne s’entredévore.
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*Photo: lartdupopup

Juin 2013 #3

Article extrait du Magazine Causeur



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