Dans Ultra violet, la philosophe Margaux Cassan révèle les dessous du bronzage. Et elle s’interroge : pourquoi certains continuent-ils de s’exposer au soleil alors que ses méfaits ne sont plus à prouver ?
Quel est le point commun entre Jacques Séguéla, Jean-Paul Enthoven, Jack Lang ou Thierry Ardisson ? Le bronzage ! Ils sont bronzés toute l’année, quand le commun des mortels affiche un teint de papier mâché. C’est l’histoire des bronzés, ou plus précisément celle de leur déclin que raconte la philosophe Margaux Cassan dans un essai passionnant sur notre rapport au hâle. Symbole de réussite dans les années 1980, le bronzage est aujourd’hui regardé avec circonspection. Rien de bien étonnant si l’on songe qu’entre 1980 et 2018, le nombre de cancers de la peau a été multiplié par trois. Des chiffres qui n’arrêtent pas ceux que l’auteure surnomme les « Rastignac du soleil ». Les grands, les communicants, les publicitaires et autres. Certains sont morts. « Ne restent alors que les vétérans, ivres de leur croisade contre le changement, insensibles aux alarmes sanitaires, écologiques, aux nouvelles modes. » En un mot, une espèce en voie de disparition, au même titre que les cétacés, les coraux et les chimpanzés. Parmi eux, une femme, 55 ans, les cheveux blonds peroxydés, bronzée 365 jours sur 365 : la mère de Margaux Cassan. Depuis toujours, elle passe sa vie à rechercher le soleil. Il est son Dieu, sa religion, celui pour qui elle ne rechigne pas à parcourir des milliers de kilomètres. Pour qui, aussi, elle n’a pas hésité à sacrifier sa fille, l’exposant à ses rayons, enfant, sans crème, ni chapeau, ni lunettes. Qu’on ne lui parle pas d’Icare qui, à trop s’approcher du soleil, a fini par se brûler les ailes. L’astre des astres est pour elle avant tout synonyme d’énergie. Et pourtant. Un jour, l’impensable se produit : cancer de la peau. Une personne sur cinq en aura un avant 75 ans. Elle rentre dans les statistiques. Une addiction au soleil dont sa fille nous précise qu’elle porte un nom : la tanorexie. Et qui, comme toutes les addictions, génère de l’euphorie, du bien-être et des drames. Dans L’Invention du bronzage (Flammarion, 2008), l’historien Pascal Ory rappelle que le hâle a longtemps été associé au travail dans les champs, et qu’il devient une signature bourgeoise à partir des années 1930. Coco Chanel fut l’une des premières à le populariser, estimant que, plus qu’une mode, il est « un levier d’affirmation. L’incarnation d’une nouvelle féminité. » Une assertion que la mère de l’auteure ne saurait récuser.
Mais que se joue-t-il vraiment sous le bronzage ? Et pourquoi certains continuent-ils de s’exposer alors que les méfaits du soleil ne sont plus à prouver ? C’est la question à laquelle répond avec brio Margaux Cassan, dans cette enquête philosophique qui embrasse tour à tour l’histoire, la sociologie, le religieux, la mythologie, et se double d’une réflexion sensible sur la relation entre une mère et sa fille.
Ultra violet, de Margaux Cassan, Grasset, 2024. 216 pages