En France, on aime les stars. Je ne contredirai pas notre star à nous chez Causeur, Alain Finkielkraut, qui a décrypté ce phénomène : « Ce qui atteste la maturité d’une époque, c’est sa résistance à l’idolâtrie, alors il faut dire que la nôtre est retombée en enfance, ou plus exactement, en adolescence[1. Finkielkraut, CAUSEUR, janvier, l’esprit de l’escalier]». Notre star pour ados, en Ukraine, c’est Klitchko. Il faut dire qu’il a la tête de l’emploi : plutôt beau gosse, fait tout de muscles, et mesurant plus de 2 mètres, « il en envoie » et pas seulement aux Ukrainiens. Ses doux yeux bleu clair font penser qu’il est malgré tout capable de calme et de délicatesse. Ne craquez pas les filles, mais oui, il en est capable, comme il l’a si bien répété sur la place Maïdan de Kiev : « Aujourd’hui, notre force s’exprime en une forme de contestation pacifique ». Le leader du parti d’opposition « Oudar » (qui veut dire « coup » voire « coup de poing »), ancien champion de boxe, porte un discours mesuré qui plaît aux bons pays démocratiques d’Europe. Et les médias l’adorent.
Pourtant, Klitchko, le contestataire qui « se bat pour la vérité et la justice » n’est pas le seul opposant au Président Viktor Ianoukovitch. Trois de ses adversaires ont déjà annoncé leur candidature aux prochaines élections présidentielles.
Un récent sondage ukrainien livre l’ordre des intentions de vote si les élections présidentielles se déroulaient en ce moment. Ianoukovitch serait encore celui qui obtiendrait le plus de voix (18,6% ) suivi de Vitali Klitchko (9,4% )qui devance pour la première fois l’ancien avocat Arseniy Iatseniouk (7,1%). Et plus loin, se place Oleg Tyahnybok (4,5%).
Le parcours politique de Iatseniouk , selon l’enquête citée, n’est pas maigre. Il a été le jeune ministre des Affaires économiques qui a engagé les premières négociations sérieuses avec l’Europe pour l’intégration européenne en 2005[2. dans le gouvernement de Iourii Iekhanourov]. Il a ensuite rejoint le ministère des Affaires étrangères, avant d’être nommé président de l’Assemblée parlementaire ukrainienne, la Verkhovna Rada, en 2007. La même année, le pays traverse une grave crise politique, liée à des affaires de corruption et de querelles intestines entre partis. Le parlementaire décide alors, courageusement, de quitter son poste de Président de l’Assemblée, c’est-à-dire son habit de second personnage de l’Etat. Son intégrité sauvé, il crée le parti « Le front pour le changement ». Il parvint à se classer quatrième au premier tour des élections présidentielles du 17 janvier 2010 après Viktor Ianoukovitch, Ioulia Tymochenko et un candidat du Parti travailliste, ancien président de la Banque nationale.
L’autre membre de l’opposition oublié par les médias européens est Oleg Tyahnybok. Il pourrait crier à son rival de l’Oudar que sa famille ne l’a pas attendu pour briller dans le sport et dans la politique. Son père a ainsi été le médecin en chef de l’équipe nationale soviétique de boxe et grand boxeur professionnel lui-même. Le fils, chirurgien de formation, est vite devenu membre du parti social-nationaliste, bien ancré à droite. En 1998, il a été élu député sous les couleurs du social-nationalisme puis a rejoint le groupe de Viktor Iouchtchenko avant d’en être renvoyé en 2004. C’est là qu’il prend la tête du parti Liberté, son bastion actuel.
Les trois clans « Oudar », « Front pour le changement » et « Liberté » ont du mal, s’ils ne refusent pas totalement, à se coordonner. Ils prétendent chacun être le seul opposant légitime. Il est vrai qu’une conciliation semble difficile. Si la grande ligne de fond des programmes politiques est la même dans les trois partis : Lutte contre la corruption et contre le monopole des oligarques, les propositions concrètes divergent et ne sont pas au même niveau de développement.
Le parti « Liberté » représente une tendance traditionaliste et nationaliste (entendez surtout anti-russe). Il recommande ainsi la mise en place d’un test de langue ukrainienne pour travailler dans le service public et l’institution d’un visa avec la Russie. Son plan politique semble pouvoir être immédiatement efficace depuis la présentation de son contre- gouvernement composé de nombreux experts.
Plus éloignées de la réalité d’un gouvernement effectif, virevoltent les préoccupations de Klitchko. Le boxeur propose un programme encore très abstrait qui se résumerait à sauver l’Ukraine à coup de «liberté humaine », « d’indépendance du citoyen » et d’ «intégration à l’Europe ». Mais lui, comme le commente un journaliste local, « il fait du score ! ».
Le parti d’Arseniy Iatseniouk se veut le plus pointu du point de vue économique, et pour cause, son dirigeant a fréquenté longtemps ce Ministère et connaît bien les rouages du gouvernement. En plus de recommandations sur la baisse des impôts, le Front pour le changement suggère aussi de réformer le système judiciaire, pour le rendre réellement indépendant.
Comme on ne peut pas faire alterner les dirigeants en fonction des jours pairs et impairs, le journal ukrainien Glavcom imagine non sans humour la formation du prochain gouvernement, dont voici les acteurs principaux : Premier Ministre : Arseniy Iatseniouk. Vice Premier Ministre : Vassili Klitchko et deuxième vice Premier Ministre ex-aequo : Oleg Tyahnybok.
En attendant que les trois candidats à la présidentielle de 2015 s’accordent ou se désaccordent, le triumvirat des concurrents à l’opposition a un air de chaise musicale déglinguée où la musique ne s’arrêterait jamais.
*Photo: Sergei Chuzavkov/AP/SIPA. AP21497026_000007.
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