Si Trump obtient une cessation des combats en Ukraine, les Européens pourront le remercier de leur retirer une sacrée épine du pied. D’autant que chacun semble vouloir rendre la situation encore plus tendue avant son arrivée.
En Europe, l’heure est à la consternation. Trump, élu, va brader l’Ukraine et faire un deal en deux coups de cuillère à pot avec Poutine, comme on nous le répète depuis des mois. Seules de rares voix, comme Hubert Védrine, ont rappelé que personne ne savait exactement ce que Trump entendait faire et qu’il était prudent d’attendre. Raphaël Glucksmann, lui, n’a pas attendu. Avec son talent pour dramatiser une pensée courte, il n’a pas hésité à considérer qu’avec l’élection de Trump, « l’Europe [pouvait] se retrouver dans la situation de la Tchécoslovaquie en 1938[1] ». Quelques jours plus tard, Léa Salamé, recevant Jordan Bardella, nous servait la version grand public : « Trump va faire une alliance, il y aura un axe Trump-Poutine avec, en Europe, Victor Orban[2]. » Face au simplisme politico-médiatique, il n’est pas interdit de réfléchir.
Cessez-le-feu. Trump ne parviendra pas à un accord global avec la Russie « en vingt-quatre heures », ni en vingt-quatre jours. S’il obtient une cessation des hostilités en quelques semaines, ce sera déjà un très beau résultat. Les exigences de Moscou sont trop élevées pour obtenir plus à court terme. Vladimir Poutine les a rappelées lors de sa conversation téléphonique avec Olaf Scholz, le 15 novembre : accord territorial basé sur la « réalité du terrain » et « traitement des causes du conflit », ce qui signifie la neutralisation de l’Ukraine, une démilitarisation partielle, l’interdiction d’entrer dans l’OTAN et le remplacement (la « dénazification ») des dirigeants à Kiev. On part donc de très loin et les négociations pourraient durer des mois voire des années.
Une alliance, pour quoi faire ? Quel intérêt aurait donc Donald Trump à faire alliance avec Poutine, un dirigeant qui déteste l’Occident ? Aucun. Trump fait simplement un double constat : 1) le conflit en Ukraine est trop coûteux pour les États-Unis, financièrement et en armement ; 2) l’Ukraine n’a aucune chance de l’emporter sur le terrain. Conclusion, il faut arrêter ce conflit. L’intérêt de Trump pour la Russie s’arrête là à ce stade. Car Trump n’a pas varié depuis huit ans. La menace pour l’hégémonie américaine se situe en Chine et non en Russie.
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Ce qui vaut pour Trump vaut également pour Poutine. Ce dernier veut-il une alliance avec les États-Unis ? Rien n’est moins sûr. Poutine n’a plus confiance dans les États-Unis depuis au moins quinze ans. Il sait que la signature d’un président américain n’a de valeur que durant quatre ans. Un successeur peut s’en affranchir du jour au lendemain. N’est-ce pas ce qu’a fait Trump le 1er juin 2017 en annonçant son retrait de l’accord de Paris sur le climat signé par 195 pays, ou en mai 2018 en déchirant l’accord international sur le nucléaire iranien négocié par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne durant de longues années ?
Poutine se préoccupe du temps long. Les engagements pris par le Chinois Xi Jinping, l’Indien Modi et les autres membres des Brics sont plus solides à ses yeux qu’un accord avec le président des États-Unis, quel qu’il soit.
Néo-cons, mais Républicains cette fois. Les premières nominations de Trump II devraient rassurer nos partisans du casque lourd. Marco Rubio au département d’État et Pete Hegseth au ministère de la Défense sont tout sauf des pacifistes. Leur vision du monde et du rôle des États-Unis à la tête du « monde libre » n’est guère éloignée de celle des actuels titulaires Antony Blinken et Lloyd Austin : viscéralement pro-israéliens et prêts à montrer les dents face aux ennemis de l’Amérique. Arrêter cette guerre oui, faire des cadeaux à la Russie, non. Ainsi, hors de question de faciliter le retour du gaz russe sur le marché européen, devenu, au détour de cette guerre, un marché captif des fournisseurs américains. Un objectif que Trump avait cherché à obtenir durant tout son premier mandat.
Tête-à-queue à Bruxelles. Les dirigeants européens qui, il y a peu, bombaient le torse et juraient de soutenir l’Ukraine à la vie et à la mort vont être contraints de réviser leur copie. L’ex-commissaire européen Thierry Breton le reconnaissait platement, sur le plateau de LCI, au lendemain de l’élection : « C’est incroyable, aujourd’hui on est en train de parler des conditions de la fin de la guerre en Ukraine, un sujet sur lequel on ne s’autorisait même pas à réfléchir et sur lequel, à la Commission européenne, on n’avait aucun droit de parole. » Propos qui fait froid dans le dos quand on pense au million de morts et blessés qu’a déjà fait cette guerre de tranchée électronique, mais passons. Une fois Trump installé à la Maison-Blanche, il ne faudra pas longtemps aux dirigeants européens pour caler leur position sur celle de Washington et soutenir la cessation des combats.
Olaf Scholz ne signifie pas autre chose quand il appelle Vladimir Poutine, juste une semaine après l’élection de Donald Trump. Par la même occasion, le chancelier nous rappelle que l’Allemagne n’hésite pas à agir seule quand ses intérêts vitaux sont en jeu. En l’occurrence, la survie de son industrie qui passe nécessairement par une baisse des tensions à l’est de l’Europe et une normalisation à long terme avec la Russie.
La température monte dangereusement avant le départ de Biden. Qu’il s’agisse d’une décision de Joe Biden ou de son entourage, le feu vert donné par Washington, puis Londres et maintenant Paris, de frapper la Russie en profondeur avec des missiles balistiques modifie la nature du conflit. Ces tirs balistiques ne changeront rien à l’issue du conflit, comme Biden l’avait expliqué il y a deux mois pour écarter une demande britannique en ce sens. Mais ils accroissent grandement le risque d’une guerre globale.
Au combat au sol entre Ukrainiens et Russes s’ajoute désormais une bataille de missiles entre puissances nucléaires. La première de l’histoire. Les missiles ATACMS et Storm Shadow sont lancés en Russie de manière conjointe par les Ukrainiens et des militaires américains et britanniques. Les Russes en concluent donc être attaqués par deux puissances occidentales. Il en sera de même de la France si nos soldats frappent la Russie avec des missiles longue portée Scalps depuis l’Ukraine. Le fait que la Russie soit à l’origine de cette guerre n’est plus le sujet. Les Ukrainiens ne sont pas sur la photo. Il s’agit ici d’un tête-à-tête entre puissances nucléaires.
Seule la Russie est touchée sur son sol à ce jour. D’où un déséquilibre de perception considérable et lourd de danger. Les missiles occidentaux tombent-ils inaperçus auprès des Russes et ceux-ci n’attendent-ils pas en toute logique une riposte de leur armée ? En Occident, la menace demeure virtuelle et nous ne savons plus ce qu’est la guerre, à la différence des Russes qui vivent avec. Imagine-t-on la réaction, voire la panique de la population française si un missile russe frappait le site balistique français du plateau d’Albion ?
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Poutine et sa population ne supporteront pas longtemps de recevoir sur leur sol des missiles balistiques tirés par des soldats américains ou britanniques. Il l’a déclaré très clairement la semaine dernière. Poutine s’est contenté, pour l’heure, de lancer en Ukraine le missile Orechnik, capable de porter une charge nucléaire. La prochaine étape pourrait être un tir au-delà de l’Ukraine, en mer Baltique (au hasard) ou sur un site militaire à l’intérieur d’un membre européen de l’OTAN. Cette riposte suffirait à placer toute l’Europe au bord de la guerre. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. En France, il est frappant de constater que bien peu de monde n’alerte sur les dangers de la situation et n’appelle à la désescalade et à la retenue de toutes les parties.
L’Europe devrait remercier Trump de lui ôter une épine du pied s’il obtient une désescalade rapide. Les Européens ont tout à gagner à une cessation rapide des combats obtenue par l’éléphant Trump. Car, l’alternative est intenable.
Sans accord même a minima, l’Europe se trouverait dans la situation impossible de devoir soutenir des échanges de missiles avec la Russie et soutenir militairement l’armée ukrainienne avec des stocks inexistants puisque nous sommes toujours dépourvus d’une production d’armes suffisante et avons été incapables de nous mettre en économie de guerre depuis deux ans. Sans accord, les déclarations de soutien sans faille des Européens passeront donc pour ce qu’elles sont, un vœu pieux ou, pire, un exercice de com’ sans réel contenu. Au moins, un accord à la Trump aura le grand avantage de leur éviter un désagréable embarras publicque. Bonne chance, Donald !
[1] France Inter, le 8 novembre 2024.
[2] Emission « Quelle époque », France Télévisions, le 9 novembre 2024.
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