Vendredi après-midi, Bernard-Henri Lévy a de nouveau gravi le perron de l’Elysée; cette fois-ci en compagnie de Vitali Klitschko, candidat à la présidentielle ukrainienne. De mauvais augure pour l’ancien champion de boxe. Partout où BHL est passé, la situation a empiré : en Bosnie, en Libye et maintenant en Ukraine. Mais, si « le plus beau décolleté de Paris » n’a pas de mots assez durs pour condamner le coup de force russe, l’Europe conclut toujours ses rodomontades par « désescalade et négociation ». Poutine n’étant pas Milosevic ou Kadhafi, a-t-elle d’autre choix que l’apeasment? Jusqu’à présent, seules des sanctions économiques ont été envisagées.
Et pour cause, l’Europe est un géant économique de 450 millions de consommateurs. Mais un géant drogué aux ressources et aux capitaux russes, devenu obèse à force de dépenses. Une dépendance mutuelle qui, avec la « transition énergétique » de l’Europe allemande, ne fait que creuser toujours un peu plus ses déficits commerciaux. Un gouffre financier difficilement soutenable dès lors que plane sur nos têtes la menace d’une rechute de la crise des dettes souveraines. L’Europe espère toujours une timide reprise de la croissance en 2014-2015. Un rien pourrait tout compromettre… Pendant que David Cameron plastronnait devant les caméras, la City de Londres le suppliait de renoncer aux sanctions économiques. Quant au soutien financier de la pauvre Ukraine, il n’est pas question bien sûr de s’aligner sur les 15 milliards promis jadis par Moscou.
Le géant économique que nous sommes se révèle d’autant plus chancelant qu’il est défendu par un nain militaire. C’est à grand peine que l’UE tente actuellement d’envoyer mille hommes à Bangui pour juguler un nettoyage ethnico-religieux de grande ampleur. Dans une péninsule de Crimée où les seuls coups de feu tirés sont en l’air, où la population russophone s’apprête à massivement soutenir le rattachement à la mère-patrie, on voit mal Lady Ashton prendre la tête d’une croisade contre les 30 000 soldats russes. Si la baroness a préféré se rendre samedi à Téhéran, c’est que la situation ukrainienne ne doit pas être si urgente. Elle-même a toujours souhaité que l’UE reste un nain militaire qui « désarme dans un monde qui réarme« (amiral Guillaud). L’Europe a délégué sa sécurité aux forces américaines de l’OTAN au moment même où Washington décidait de réaxer son effort militaire de l’Atlantique vers le Pacifique. Un désengagement américain de l’Europe mais aussi du Moyen-Orient. Or en Syrie, en Iran, en Irak et en Afghanistan, la coordination avec Moscou est cruciale. Autant dire qu’Obama ne voit pas l’intérêt de défendre la souveraineté ukrainienne sur une Crimée dont chacun sait qu’elle est russe depuis la grande Catherine II.
Comble de l’impuissance, le géant marché européen n’est pas seulement défendue par un nain militaire, il est aussi représenté par un panier de crabes diplomatique. 28 politiques européennes s’affrontent à Moscou. Entre les gesticulations polono-baltes, le splendide isolement franco-britannique et la peur italo-allemande, seul un service minimum de sanction économique pouvait faire l’unanimité. Les décisions prises au conseil européen de Bruxelles sont insignifiantes au regard des représailles brandies par Gazprom. Même le discours européen sur l’intangibilité des frontières ne tient pas au regard du précédent kosovar, des référendums prévus en septembre en Écosse et bientôt en Catalogne.
Pour ne pas perdre la face, il ne reste à l’Occident que la carte de l’exclusion de Poutine du G8. Un moindre mal qui donnera aux opinions publiques européennes l’image de dirigeants courageux et puissants. Comme en 2008, lorsque Sarkozy était revenu auréolé de Géorgie. Poutine n’en a cure, l’Ossétie et l’Abkhazie sont toujours sous contrôle. Quant au G8, il n’est plus qu’un club de débiteurs occidentaux qui négocie avec ses créanciers du G20. Dont la Russie.
*Photo : Christophe Ena/AP/SIPA. AP21536861_000004.
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