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Ukraine: le mot de la discorde

Quand le protégé s’insurge contre le protecteur


Ukraine: le mot de la discorde
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky au téléphone avec Joe Biden, Kiev, 28 janvier 2022 © EyePress News/Shutterstock/SIPA

Volodimir Zelensky, le président ukrainien, a demandé à Joe Biden de tempérer les ardeurs martiales des États-Unis. S’inclinant, Washington cherche sa consolation dans un jeu de synonymes…


La semaine dernière, une conversation téléphonique entre Joe Biden et le président ukrainien Volodimir Zelensky a pris une tournure pour le moins inattendue. Oubliant soudain que, pendant trois mois, il s’est employé à sonner le tocsin de la guerre, Zelensky s’est emporté contre son correspondant lui disant que c’est auprès de lui qu’il doit chercher des informations sur la situation en Ukraine et non dans la presse américaine. Oubliant aussi les exercices militaires au cours desquels il a été photographié en treillis, et les fusils en bois – comble du ridicule – distribués aux volontaires à des fins d’entraînement, il a déclaré que la situation en Ukraine est, certes, dangereuse, mais très ambiguë, et qu’il ne faut pas tirer des conclusions hâtives.

On imagine aisément à quel point le président américain a pu être décontenancé par une telle mise au point – lui qui avait enfin trouvé l’argument pour en découdre avec la Russie. Sa tentative de convaincre Zelensky qu’une agression russe est une possibilité claire n’a mené à rien.

Le mot « imminent » au cœur de la polémique

Le résultat de cette discussion met Washington et ses amis occidentaux dans une position plutôt risible. Jen Psaki, secrétaire pour la presse de la présidence américaine, a annoncé mercredi soir que son administration n’utilisera plus le mot « imminent » en parlant du risque d’une intervention militaire russe en Ukraine. Elle a même tenu à se justifier : « En ce qui me concerne, je n’ai utilisé qu’une seule fois ce mot. Je pense que d’autres l’ont utilisé, eux aussi, une seule fois. Nous avons décidé de ne plus l’utiliser parce que je crois que ce mot transmet un message que nous ne voulions pas transmettre, celui que nous savons que le président Poutine a pris une décision en ce sens. »

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De son côté, Linda Thomas-Greenfield, ambassadeur des États-Unis à l’ONU, s’est dépêchée de déclarer que Washington n’a pas évalué comme imminente l’invasion russe pour la bonne raison que les Américains cherchent encore une solution diplomatique.

Bruits de bottes à la frontière

Ainsi, le matériel militaire livré à l’Ukraine, l’envoi de troupes dans des pays voisins (le mimétique Macron s’est empressé, d’ailleurs, d’annoncer une décision similaire), l’agitation médiatique alimentée par des sources gouvernementales sûres de leur fait – tout cela n’a pas été le résultat d’informations précises, d’analyses nourries par le savoir, mais d’une impression ou d’un échafaudage bancal d’impressions. Il en fut de même lorsque l’Occident, mené par l’UCK, a déclenché une guerre absurde contre la Serbie ; de même pour les expéditions contre l’Irak, l’Afghanistan et la Syrie ; de même pour l’excitation contre-productive en faveur du fameux « printemps arabe ». Et la liste des exploits du même acabit est longue – tous étant la conséquence non d’une sagesse politique ou diplomatique, mais d’impressions vite transformées en obstinations guerrières.

Mais que s’est-il passé, en l’espace de quelques jours, pour que Volodimir Zelensky change à ce point ? Hier, ses grands amis occidentaux voyaient en lui le héros de la résistance contre Poutine ; aujourd’hui, il accuse Biden de créer et entretenir une panique qui serait dommageable à l’Ukraine et au reste du monde. Hier, il organisait une armée d’amateurs à qui Washington envoyait des armes ; aujourd’hui, il demande aux Américains de tempérer leur discours belliciste.

Et, à l’autre bout du monde, que s’est-il passé pour que Washington obtempère si promptement à la réprimande de Zelensky, se livrant, en plus, à un exercice lexical qui tient de la plus dérisoire auto-flagellation ? Ce qui, par ailleurs, n’empêche pas divers officiels américains de continuer à « dévoiler » divers plans d’agression russe qu’ils connaissent, semble-t-il, dans les moindres détails.

Autant que la Russie, si ce n’est plus, les États-Unis veulent l’Ukraine dans leur zone d’influence et rêvent d’y installer des bases militaires. Zelensky, quant à lui, sait que sa situation est fragile. Trop peu de changements par rapport à l’ancien pouvoir et un appauvrissement de la population qui se poursuit lui ont attiré une grande hostilité. En plus, deux menaces pèsent sur lui : celle d’une mise au pas par Moscou et celle d’une éviction brutale par une de ces révolutions colorées dont les Américains détiennent le secret et qui se terminent toujours par un résultat contraire à celui escompté. Serait-il en train de choisir son camp ? Toutes les surprises sont possibles et aucune n’est nécessairement plaisante.




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écrivain et journaliste français, né en 1951 en Roumanie, pays dont il fut exilé par le pouvoir communiste en 1977. Il a collaboré dans plusieurs médias tels que RFI , Voice of America, BBC, Le Point , Le Quotidien de Paris, Libération, entre autres.

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