Samedi dernier, l’Ukraine a annoncé qu’elle n’achèterait plus de gaz à la Russie. Un dernier pied de nez à sa grande voisine qui révèle la fine stratégie qu’essaye de jouer l’Ukraine. Elle cherche son indépendance, en opposant l’une à l’autre les deux velléités expansionnistes de l’Union Européenne et de l’Union Douanière constituée autour de Moscou.
L’Union Douanière qui réunit aujourd’hui la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie est appelée à se transformer en Union eurasienne dans deux ans. C’est un projet d’envergure. Une initiative qui est destinée à changer considérablement les règles du jeu pour les pays membres. Les considérations politiques sont majeures dans cette union, et dépassent les considérations économiques. L’idée est véritablement d’amorcer un processus d’intégration régionale, qui permettrait à la Russie d’organiser sa politique de voisinage. Alors qu’à la chute de l’URSS, Moscou avait facilité l’indépendance des ex-satellites soviétiques avec la création de la CEI, Poutine a renoué avec la volonté de retrouver de l’influence dans l’espace postsoviétique.
On connaît les raisons qui poussent l’Union douanière à se battre de toutes ses forces pour l’adhésion de Kiev : l’Ukraine représente un immense marché, un pays au fort potentiel agricole, ainsi qu’un intermédiaire énergétique, disposant d’une industrie majoritairement obsolète mais qui reste attrayante dans certains secteurs. Un avant-poste géopolitique également. Le pays de « Rus » formé autour de Kiev étant le berceau historique de la Russie, on comprend que l’Ukraine joue un rôle si important dans la conscience nationale russe. Tous ces arguments incitent Moscou à multiplier les stratégies pour faire plier l’Ukraine à sa volonté : pressions, concessions, promesses de contreparties….
Ces derniers mois, le Kremlin a plutôt misé sur les menaces. L’interdiction par les autorités sanitaires russes du chocolat ukrainien, subitement devenu cancérigène, puis le blocage des marchandises venues d’Ukraine par les douaniers russes en août, donnent un avant-goût des représailles que feraient peser Moscou sur Kiev en cas de rupture. Mais c’est avant tout le gaz qui tient l’Ukraine captive de la politique russe. Sa dépendance énergétique permet à la Russie de faire pression sur son voisin par des tarifs avantageux, très en-deçà de la facture énergétique que paie l’Europe lorsqu’elle se fournit en Russie.
De ce point de vue, l’émancipation coûte cher. Samedi 9 novembre, lorsque l’Ukraine a annoncé avoir cessé d’acheter du gaz naturel en Russie, alors qu’elle s’y approvisionnait jusque-là à hauteur de 10 millions de mètres cubes par jour. Une véritable bombe politique dirigée vers le Kremlin. Et une façon de s’affranchir définitivement de la suprématie russe ? C’est vite dit.
Car Kiev ne s’est pas encore jetée dans les bras de l’UE. La stratégie diplomatique de l’Ukraine vise à manœuvrer en permanence pour ne dépendre de personne. À la confluence de plusieurs axes routiers, ferroviaires et gaziers, le pays se sait incontournable pour l’approvisionnement de l’Europe en gaz et en pétrole [1. Son réseau de gazoducs et d’oléoducs est le 2ème plus grand au monde, après la Russie]. Forte de sa position, elle cherche à négocier un statut privilégié avec l’UE.
L’Union Européenne « attend l’Ukraine dans sa famille » clame déjà le site du conseil européen. Le ton est donné. Mais, pour l’instant, les négociations entre l’UE et l’Ukraine se concentrent sur la signature d’un accord d’association et de libre échange, à la portée historique.
Dans le combat pour gagner l’Ukraine, la présidente lituanienne du conseil européen tacle son concurrent russe en défendant l’autodétermination du pays, non sans flatter l’orgueil national ukrainien : « L’Ukraine est aujourd’hui au centre de l’attention de tous les Européens qui se préoccupent de la sécurité et de la prospérité de notre continent. L’Europe attend et soutient l’Ukraine. Le sommet de Vilnius peut devenir le jour historique où l’Ukraine a choisi l’Europe, et l’Europe a choisi l’Ukraine ».
Si l’UE fait tout pour l’attirer dans ses filets, Kiev ne se presse pas de remplir les conditions nécessaires à la signature dudit accord de libre échange. La première requise, et la plus importante, est la libération de l’ex-premier ministre Ioulia Timochenko, emprisonnée pour abus de pouvoir. Une date buttoir a été fixée au 18 novembre.
Tout en assurant Moscou de son amitié, l’Ukraine a fait d’autres pas en direction de Bruxelles. Dans ce jeu de billard à trois bandes, se joue une répétition du grand échiquier décrit par Brzezinski. Mais à force de multiplier les numéros d’équilibriste pour gagner son indépendance, l’Ukraine risque de perdre sur tous les tableaux.
*Photo : PX1/WENN.COM/SIPA.SIPAUSA31182121_000017.
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