Pays limitrophe de la Hongrie, l’Ukraine fait actuellement la une de la presse hongroise. Car une population magyare y réside depuis le traité de Trianon qui avait, en juin 1920, amputé la Hongrie d’une grande partie de ses territoires et de sa population. On estime aujourd’hui à plus de 150 000 le nombre de ces résidents hungarophones, concentrés près de la frontière dans la région dite subcarpathique du pays. Une population qui s’était montrée jusque-là plutôt pacifique, voire relativement conciliante, d’autant que les autorités de Kiev lui avaient reconnu l’usage officiel du hongrois au niveau régional.
Et voilà qu’à peine glissé dans sa nouvelle peau, le Parlement de Kiev a aussitôt voté l’abolition de la loi qui protégeait les langues nationales. Une mesure dirigée non pas tant contre les Hongrois que contre la population russophone qui, avec près de 15 millions de locuteurs, représente entre le quart et le tiers de la popultation totale. Outre les russophones et hungarophones, de nombreuses autres minorités sont concernées, des Biélorusses aux Tatars de Crimée en passant par les Bulgares et autres Moldaves (env. entre 0,3 et 0,6% pour chacune de ces langues). Bref, du monde malgré tout au total…
Voilà qui ne va pas arranger les relations avec une Hongrie dont le Premier Ministre Viktor Orbán affiche ouvertement, et avec morgue, son ouverture sur l’Est et l’Asie pour descendre en flammes l’Europe, le FMI et tous ces voyous de l’Occident pourri. On a même pu l’entendre sur les antennes de la radio publique hongroise (Kossuth rádió) qualifier de terroristes les manifestants de Kiev et affirmer que la police ukrainienne se trouvait en état de légitime défense…
Mais là n’est pas l’essentiel. Plus que les relations de bon ou de mauvais voisinage, ce qui nous importe est le sort de l’Ukraine. Après tant de sacrifices, il serait vraiment dommage de gâcher une si belle occasion de rabibochage. Je ne suis pas spécialiste de l’Ukraine, mais, résident en Hongrie, je compte de nombreux ressortissants ukrainiens parmi mes amis. Tous de culture et de langue russe. Très attachés à leurs racines, certes, mais ne reniant pas non plus leur citoyenneté ukrainienne. Voire ne portant pas dans leur coeur, loin de là, un Ianoukovitch qu’il avaient honte de voir se prosterner devant un Poutine conquérant. Peut-être ne représentent-ils pas la masse? Je l’ignore.
Toujours est-il que l’abolition de cette loi ne constituait pas la première des priorités. Cette mesure risque purement et simplement de compromettre l’avenir du pays, déjà en posture bien fragile, en se mettant à dos une part non négligable de la population. Alors que les nouveaux dirigeants en place auraient pu se la concilier. Voilà un beau gâchis… Qui me rappellerait presque, toutes proportions gardées, l’arrogance des dirigeants hongrois des années 1900 qui se refusaient obstinément à fédérer le royaume face aux minorités (essentiellement roumaines, slovaques et serbes). D’où cette rancoeur qui conduisit le pays à la tragédie de Trianon…
On dit que, située au bord de la faillite, l’Ukraine va faire appel à l’aide financière de l’Union européenne. Peut-être serait-ce là une occasion de rappeler à ces Messieurs de Kiev la liberté qu’a chacun de s’exprimer dans sa langue maternelle? J’en doute. Mais après tout, il n’est pas interdit de rêver…
*Photo : Marko Drobnjakovic/AP/SIPA. AP21531399_000001.
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