Accueil Monde Ukraine : les contorsions de l’Occident

Ukraine : les contorsions de l’Occident


Ukraine : les contorsions de l’Occident

ukraine crimee poutine russie

On ne parle plus que de ça. Depuis un mois, le sort des Tatars de Crimée et la situation des opposants rassemblés place Maïdan à Kiev n’ont plus de secret pour le téléspectateur assidu des chaînes infos hexagonales. L’éviction du président corrompu Ianoukovitch suivie de la libération de l’ancien premier ministre Timochenko, ordonnée par le Parlement, ont gonflé les voiles du romantisme révolutionnaire, sans que les apologètes de la séparation des pouvoirs n’y trouvent à redire. Pourtant, sans même mentionner les nostalgies pro-nazies du tiers des nouveaux ministres, il y a quelque chose de constitutionnellement pourri dans la transition ukrainienne.

Jacques Sapir a magistralement relevé le paradoxe occidental face aux velléités indépendantistes de la Crimée. De deux choses l’une, soit l’on estime que la destitution de Iakounovitch par la Rada ukrainienne le 22 février tient du légitime renversement démocratique, auquel cas l’ordre constitutionnel existant n’a plus cours, ce qui autorise chacune des régions du pays à exercer son droit à l’autodétermination. En ce cas, il n’y a plus d’intégrité territoriale qui tienne. Soit l’on qualifie le changement de pouvoir de coup d’Etat, Iakounovitch ayant été démocratiquement élu en surfant sur le mécontentement populaire qui balaya une Révolution orange tout aussi corrompue que lui-même, auquel cas les diplomaties occidentales n’auraient pas dû reconnaître le nouveau gouvernement ukrainien. Bref, l’indignation face au référendum criméen ou la romance avec les nouvelles autorités de Kiev, il faut choisir.

A fortiori si les soupçons émis par le très sérieux Guardian (qui est le quotidien libéral de gauche de référence au Royaume-Uni, pas le journal intime de Thierry Meyssan !) se révélaient fondés : des snipers postés place Maïdan auraient exécuté froidement des dizaines d’opposants pacifiques à la seule fin de provoquer la chute de Ianoukovitch en semant le chaos. Ces agents provocateurs ont-ils été appuyés par l’Union européenne et des ONG américaines « pro-démocratie », comme le laisse entendre une conversation téléphonique entre la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton et son homologue estonien ? Je suis généralement hermétique aux théories du complot mais le silence des principaux intéressés, qui se gardent bien de commenter cette compromettante pièce à conviction, laisse pour le moins songeur…

Dans les esprits de nos gouvernants, la guerre froide n’est jamais loin. Quand bien même le système anti-missiles dirigé contre la Russie se trouve à l’Ouest et les pacifistes à l’Est, le fantasme de l’ogre russe hante les consciences occidentales pavlovisées. Avec trois décennies de retard, on nous rejoue le refrain de l’occupation soviétique de l’Afghanistan, avec des nationalistes ukrainiens reprenant le rôle des jihadistes soutenus par l’Occident. C’est oublier que l’Histoire ne repasse jamais les plats. Outre la nature intrinsèquement russe de la Crimée, qu’un oukase de Khrouchtchev rattacha arbitrairement à l’Ukraine en 1954, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes devrait convaincre les grands démocrates occidentaux du bien-fondé du souhait de rattachement à la Russie exprimé par 93% des criméens. Que l’immense majorité des habitants de Simferopol, Yalta et Sébastopol préfère fraterniser avec les troupes russes stationnant dans la région plutôt que de miser sur le renouveau démocratique de Kiev devrait nous interpeller. L’une des premières mesures votées par l’assemblée révolutionnaire post-Maïdan fut la reconnaissance de l’ukrainien comme unique langue officielle, au mépris de millions de russophones, et des minorités hongroises qui font la richesse du berceau historique de la Russie. Les Ukrainiens de l’Est, déjà victimes d’une ukrainisation linguistique et culturelle à marche forcée sous les années Ioutchenko, ont parfaitement compris le message : les ultranationalistes jacobins souhaitaient les mettre au pas, sinon les éliminer.

Il y aurait certes beaucoup à dire sur la caste politique qui occupe le Kremlin. Vladimir Poutine a fait la fortune des oligarques, pendant que ses citoyens s’appauvrissaient, l’activité économique stagnant en dehors de Moscou et des zones d’extraction du gaz ou du pétrole. Son modèle de développement ultraproductiviste doit sans doute davantage à l’URSS que sa conception du pouvoir et des relations internationales héritée du XIXe siècle. Si la dictature poutinienne était si insoutenable, laissant toutefois quelques sémillantes journalistes télévisées et des dizaines de milliers de manifestants s’opposer à l’annexion de la Crimée, l’aspiration des Ukrainiens de l’est à rejoindre le grand frère russe n’en serait que plus confondante. À Sébastopol comme à Donetsk, les gens n’en peuvent mais. Ils voient leur salut dans le supposé joug poutinien et rêvent de recouvrer emplois et dignité. Faut-il les en blâmer ?

*Photo : Max Vetrov/AP/SIPA. AP21540919_000155.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Quand Edwy Plenel se prend pour Zorro
Article suivant Tous à poil au Liban, Alzheimer, lancer de nains…
est journaliste.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération