Ukraine : le chaos oriental, une chance pour la Russie ?


Ukraine : le chaos oriental, une chance pour la Russie ?

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Au petit jeu du « plus russophone que moi tu meurs », le Sud-Est de l’Ukraine céderait largement face à la Crimée. Moins homogène d’un point de vue ethnique, linguistique et culturel que la péninsule récemment rattachée à la Russie, la région de Kharkov (Kharkiv, dans son orthographe ukrainienne, ne fâchons personne !), Lougansk et Donetsk est le théâtre d’affrontements de plus en plus violents entre pro-russes et partisans du gouvernement de Kiev. On dit les premiers manipulés, voire stipendiés par Moscou, pour hisser le drapeau de la fédération russe sur les municipalités de ces villes à majorité russophone. Dans le camp d’en face, on prétend défendre son droit à l’autodétermination, sans que le projet d’une fédération ukrainienne respectueuse de ses parties intégrantes n’aboutisse à la sécession.  Il faudrait être grand clerc pour savoir qui a raison sur toute la ligne.

Quel que soit son parti pris, le précédent criméen est dans toutes les têtes. Déjà constituée en république autonome au sein de l’Ukraine, la péninsule qui abrite la base russe de Sébastopol a pris la poudre d’escampette sitôt le nouveau pouvoir central proclamé à Kiev, avant de rallier la fédération russe dès la proclamation des résultats du référendum. Tandis que le monde entier avait les yeux tournés sur les jeux olympiques de Sotchi et la répression de la « propagande homosexuelle » à Moscou, Vladimir Poutine a habilement poussé ses pions dans le grand échiquier est-européen. Mais la sanctuarisation des bases militaires russes en mer noire est une chose, l’annexion de toutes les provinces orientales de l’Ukraine en  est une autre. Quoique mal vécue, la perte de la Crimée a été implicitement avalisée par l’Union européenne et les dirigeants ukrainiens : pendant que les sanctions internationales ne touchent que le troisième cercle du Kremlin, les nouveaux maîtres de Kiev n’ont pas levé le moindre escadron pour titiller l’ogre russe, à Sébastopol. Comme le résume avec son élégance coutumière le président biélorusse Loukachenko, les listes de dignitaires russes établies par les Occidentaux sont tout juste bonnes à accrocher aux toilettes…

Côté russe, il n’est pas dit que l’économie nationale gagnerait à prendre en charge des anciens terrils de charbon minés par la crise. La Crimée récupérée, Poutine en est réduit à appeler le Conseil de sécurité de l’ONU à la rescousse pour répondre aux revendications de ses fidèles ukrainiens. Le grand reporter Renaud Girard n’avait pas tort d’expliquer que l’annexion de la Crimée, appréciable à court terme pour le prestige grand-russe, pourrait constituer un boulet voire un dangereux précédent à moyen et long terme, y compris pour Moscou. Il est toujours périlleux de jouer avec les séparatismes, fût-ce chez le voisin. En l’occurrence, Poutine se retrouve acculé à réagir, entre deux écueils qu’il voudrait éviter : la non-assistance à russophone en danger, motif qui le pousserait dans ses derniers retranchements militaires si l’escalade sécuritaire se prolongeait ; l’ingérence à répétition, quitte à donner des ailes et des arguments aux différentes peuplades qui font la richesse de son empire. Accessoirement, il serait dans l’intérêt de la Russie de disposer d’un gouvernement qui ne lui soit pas trop hostile à Kiev, mais également de marches occidentales sécurisées. Si Poutine en venait à être perçu comme un fauteur de guerre en Europe de l’Est, son étoile diplomatique et commerciale y pâlirait, sans qu’il puisse compenser sa perte d’influence par un regain d’’échanges avec des partenaires aussi peu fiables que la Chine, l’Iran ou la Syrie. Enième épisode de la bataille rangée entre Poutine et les Occidentaux, la presse russe laisse entendre que le Kremlin pourrait prochainement vendre ses armes et son gaz en roubles. Une annonce pas encore suivie d’effets, mais qui a l’avantage de refroidir – au propre comme au figuré – les partenaires de la Russie.

L’enjeu énergétique n’est qu’un exemple de l’interdépendance entre les flancs ouest et est du vieux continent. Si la situation ukrainienne venait à s’envenimer, Poutine serait à tort ou à raison montré du doigt par les chancelleries occidentales. Au statu quo actuel succéderait une nouvelle guerre froide entre une UE atone et une Russie isolée. Personne n’y gagnerait au change.

*Photo : AP21553562_000021. Andrew Chernavsky/AP/SIPA.



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