C’est comme s’ils s’étaient donnés le mot pour accompagner la sortie du Film Stars 80, la suite : toutes les gloires de la période citée sont de retour en ce début d’année, en plus ou moins grande forme : U2, Daho, Indo, George Michael, Charlotte Gainsbourg, Chris Rea, A-ha, Catherine Ringer, Renaud, etc. On pourrait y consacrer un cahier culture entier.
La place nous étant comptée, attardons nous sur deux mastodontes emblématiques, Indochine et U2, et une jeune fille aux flous hamiltoniens, Charlotte Gainsbourg.
Exit Téléphone et Noir désir
Où en est le rock en France (ou le rock français) ? Téléphone est mort, comme Noir Désir, comme Bashung. Qui d’autre ? Little Bob (Little what ?) ? Les Insus, incapables de composer un inédit depuis leur reformation en 2015 ? Bertrand Cantat, qui n’a même pas réussi à déclencher une guerre mondiale entre la France et le Royaume-Uni avec son belliqueux single « L’Angleterre » (exploit qu’avait pourtant réussi Renaud avec « Miss Maggie ») ? BB Brunes, qui porte son nom comme un fardeau (comme Jordy) ?… Reste Indochine, non ? D’autant que Nicola Sirkis a visiblement voulu réitérer le coup de Paradize, quinze ans après, en collaborant à nouveau avec Mickey 3D (alias Mickaël Furnon, auteur-compositeur de « J’ai demandé à la lune ») et Jean-Louis Murat.
Les pires heures de Partenaire Particulier
Le logo de ce nouvel album, sobrement intitulé 13, évoque bien l’album-miracle de 2002, comme une excroissance terminale. Ça, c’est pour la forme. Pour le contenu, c’est une autre histoire. Si le disque marque un retour à la bonne vieille recette « simplicité et efficacité » – soit l’essence même du rock’n’roll -, il n’évite tout de même pas certains écueils rédhibitoires, dont «Suffragettes BB »
rappelant les pires heures de Partenaire Particulier ou encore le duo avec Asia Argento, « Gloria », giallo musical ressemblant à s’y méprendre à un morceau de The Pirouettes (binôme variété-kitsch improbable dont Les Inrocks ont dit « les Pirouettes foutent une grosse claque à la pop française » comme ils avaient titré « Jamel : le nouveau Coluche », c’est dire la claque). Mais Sirkis s’en fout, il ne lit plus les critiques et il a bien raison : il remplit le Stade de France au nez et à la barbe de l’intelligentsia sourde, muette et bégueule.
Si Alexis Corbière estime que la grève fait partie du patrimoine français, que dire d’Indochine ? On peut détester, mais 35 ans après « L’Aventurier », les tubes du groupe fédèrent toujours autant (L’Express a consacré en 2015 un article de fond à l’hymne « Troisième sexe »), ses albums sont réédités avec succès et son œuvre traverse manifestement le temps. 13 contient encore un ou deux tubes, dont « Un Été français » – quelle reverb voix atroce dans le couplet quand même -, digne de la période Dominik Nicolas (cofondateur et compositeur du groupe jusqu’en 1995), comme l’atteste l’arabesque du gimmick guitare. Mention spéciale également à « Henry Darger », touché par la grâce electro-pop.
Indochine, c’est aussi et surtout la voix bancale et les textes bancals de Nicola Sirkis. Cette langue est un sabir générationnel qui parle à des générations de fans, les a façonnés et accompagnés depuis des décennies. Seul le lien qui unissait Johnny à son public est comparable en terme de ferveur. En tout état de cause, même si Sirkis nous sert ici du « Tombera les croix », on préférera toujours la poésie indochinoise à l’écriture inclusive.
U2 : un album taillé pour les stades
U2 nous revient également dans une forme olympique, avec un album taillé pour les stades. Le dernier grand coup d’éclat de la bande à Bono remonte sûrement à 2009, avec le bien nommé « Breathe », morceau de bravoure épique s’il en est, champion toutes catégories des titres insurrectionnels du groupe, qui ouvrit les dates de la tournée pour mettre tout le monde d’accord d’entrée de jeu. La nouvelle livraison, Songs of Experience, montre une formation irlandaise créative, spirituelle, aérienne, sortant des sentiers battus et archi rebattus de ses hymnes aux gros sabots crottés dans tous les coins (« With Or Without You », « Pride (In the Name of Love »), « Desire », etc.) qu’il a refourgués à la terre entière en toute impunité pendant de longues années. Car étonnamment, le groupe bénéficie d’une grande mansuétude de la part des médias. Il faut dire qu’il incarne la bonne conscience rock humanitaire dans toute sa splendeur, Bono n’hésitant pas pendant le Zoo TV Tour (1992-1993) à appeler le président des États-Unis George H. W. Bush au téléphone depuis la scène, dans une attitude de défi. Vous avez dit démagogie ? Et ce n’est pas la révélation de son nom dans l’affaire des « Paradise Papers » qui ébréchera sa statue. Tant qu’il continue à nous fournir de la bonne came musicale de jet-setter philanthrope…
Paris-New York-Berlin vaut bien une messe
Le prophète en blouson noir est même capable de miracles. Un exemple parmi d’autres : quand U2 écrit « Magnificent », les critiques crient au génie, alors que ce titre n’est ni plus ni moins que du Balavoine, chanteur que les rock critics ont toujours méprisé.
En tout état de cause, Songs of Experience constitue une belle surprise, dévoilant un groupe au meilleur de son inspiration depuis le nouveau millénaire.
Dans cette cuvée, la force d’attraction des morceaux « Red Flag Day », « Get Out Of Your Own Way » (le 2ème single), « Ordinary Love » (disponible uniquement sur la version Deluxe) et «The Showman (Little More Better) » permettra de faire tourner la terre jusqu’au prochain album. Que voulez-vous, ces types ont le feu sacré. Regardez ce récent passage au Tonight Show, ils ont toujours 20 ans, c’est plus fort qu’eux.
Quand on aime Serge Gainsbourg, on aime Charlotte, forever, le contraire est impossible. Son premier disque (Charlotte for Ever) était marqué de l’empreinte paternelle, qu’elle perpétue à chaque album.
L’homme à tête de chou plane
Chacune de ses apparitions nous renvoie depuis vingt-cinq ans à l’absence du grand Gainsbarre. Son œuvre s’imprime d’ailleurs comme le parfait négatif de celle de son père (toutes les pochettes de Charlotte sont en noir et blanc…). L’effrontée est aujourd’hui devenue mère de famille et nous convie à ses histoires de fantômes en guise de comptines electro-pop pointées vers l’infinie mélancolie. Kate Barry, la demi-sœur disparue tragiquement en 2013, est évoquée (« Kate ») et l’homme à tête de chou plane en permanence sur cette légère dépression au-dessus du jardin secret. Musicalement et textuellement – puisque Charlotte a pris en charge, pour la première fois, l’écriture des paroles (in English à 50%) – l’œuvre respire l’introspection corrosive. La désormais quadragénaire, qui d’habitude paraissait plus ou moins absente à ses disques, incarne celui-ci. Après Air et Beck à la composition sur les précédents essais, SebastAn apporte un supplément d’âme à la production, offrant au disque l’allure d’un classique, comme à la grande époque de Jane et Serge. Disque Gainsbourien par essence s’il en est, Rest restera.
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