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Twitter et l’éternel présent


Twitter et l’éternel présent

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140 signes de bonheur. C’est le « concept » − comme disent les publicitaires − du réseau social Twitter, dont politiques et autres médiatiques raffolent. Pour l’utilisateur câblé, cent possibilités virtuelles s’épanouissent : échanger des noms d’oiseaux avec Nadine Morano, traiter publiquement Jean-Marc Ayrault de « grand méchant mou », etc. Que demande le peuple ?
Mais il arrive que la machine déraille. Sous un nom barbare (hashtag, à vos souhaits !), un sujet de conversation lancé au débotté peut virer au pugilat. Ainsi du consternant #unbonjuif qui défraya la chronique du racisme 2.0. Légitimement indignée, la ministre Najat Vallaud-Belkacem se fendit d’une tribune dans Le Monde sommant Twitter d’épousseter sa cave à immondices.
Mais plutôt que de nous attarder sur le sort des auteurs de blagues rancies, revenons sur la mésaventure qu’a vécue un ami, appelons-le « Paul », un temps inscrit un soir de beuverie solitaire sur ce site où des Fénéon du dimanche rédigent leurs « nouvelles en trois lignes »[ 1. En 1906, le journaliste anarchiste Félix Fénéon rédigeait des brèves d’actualité sous le nom de « nouvelles en trois lignes » publiées par Le Matin.], l’esprit en moins, l’orthographe boiteuse en plus. Voilà qu’un message assassin dont il ne comprend goutte tire Paul du sommeil. Un accusateur  public – un pléonasme dans le monde merveilleux d’Internet – le désigne comme l’auteur de messages d’insultes décochés sous pseudo.[access capability= »lire_inedits »] Dans sa diatribe, l’imprécateur, appelons-le « Lancelot », a bien pris soin de mettre le nom de Paul en exergue pour figurer la délation dans toute sa splendeur scripturaire : « Ça t’amuse de me traiter de p… et de s…. , cher Paul ? ». Incapable de poser la moindre question à son procureur, qui l’a « bloqué » d’office, Paul se voit moralement condamné sans autre forme de procès.
La seule solution ? Appeler un contact commun, susceptible de jouer les missi dominici dans cette ténébreuse affaire. L’interlocuteur de Paul lui indique que son Fouquier-Tinville a été, quelques jours plus tôt, pris à partie par un multirécidiviste de l’agression virtuelle. Et les soupçons se sont portés sur Paul en raison de son manque d’assiduité twittique, le délit de sale gueule idéologique ayant fait le reste. Une fois son innocence prouvée, Paul n’a eu droit ni aux excuses ni aux regrets de Lancelot. Point de chichis sur le Web !
Grâce à Twitter,  Paul a donc eu droit à son quart d’heure de célébrité warholien. Ainsi entré dans l’éphémère postérité cybertechnologique, mon ami désormais technophobe m’invita à méditer sur la frénésie instantanéiste de Twitter. Bernanos défendait sa France contre les robots. Instruit par l’expérience, Paul protège désormais sa « e-réputation » en « googlisant » régulièrement son nom. Un vrai héros de notre temps…[/access]

*Photo : eldh.

Février 2013 . N°56

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste.

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