Quand le gouvernement décide de faire payer la TVA aux micro-entrepreneurs dès qu’ils dépassent 25 000 € de chiffre d’affaires, cela grince des dents plus fort qu’un rideau de fer rouillé… Devant la levée de boucliers, Éric Lombard a finalement suspendu sa mesure, unanimement considérée comme pénalisante pour des travailleurs considérés comme précaires. Analyse.
Depuis quelques jours, la nouvelle mesure fiscale passée en force par le gouvernement de François Bayrou suscite une massive levée de boucliers et moults réactions indignées émanant de politiques, d’organisations professionnelles mais également de journalistes ou simples particuliers. La grande majorité s’offusque et se dit choquée que le gouvernement s’en prenne aux petites, voire aux très petites entreprises, celles que l’on appelle les micro-entreprises depuis la disparition du statut d’auto-entrepreneur en 2016. Le gouvernement prévoit en effet dans le budget 2025 d’assujettir à la TVA ces micro-entreprises dès lors que leur chiffre d’affaires annuel dépasse 25 000 euros, alors que le seuil était auparavant fixé à 37 500€ pour une activité de prestation de service et à 85 000€ pour le négoce (achat/vente de biens).
Revenus modestes
Comment imaginer sans honte renflouer les caisses de l’État en taxant l’activité des petits travailleurs indépendants dont le statut est souvent considéré, à juste titre, comme précaire ? Une fois n’est pas coutume, le discours du Rassemblement national à ce sujet s’accorde avec celui de La France Insoumise. Même l’édito de Pascal Praud du 6 février sur CNews rejoint sur le fond l’article de Mediapart du même jour, l’un prenant l’exemple d’un petit jardinier tandis que l’autre donne la parole à une secrétaire médicale et une gérante de friperie. Cependant, cette mesure est-elle si scandaleuse et injuste qu’elle en a l’air ? L’assujettissement à la TVA de ces micro-entreprises signera-t-il vraiment la mort de celles-ci ? Entraînera-t-elle forcément une baisse des revenus déjà modestes des travailleurs indépendants concernés ?
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J’ai le souvenir très net d’un échange téléphonique que j’ai eu avec un chef d’entreprise expérimenté alors que j’étais jeune entrepreneure. Je m’étais plainte auprès de lui de payer chaque mois bien trop de TVA. À ma grande surprise, loin d’abonder dans mon sens, celui-ci m’avait alors répondu : « Pour une entreprise, payer de la TVA c’est une bonne maladie ». En effet, plus on réalise de chiffre d’affaires, plus on paye de TVA. Payer beaucoup, c’est gagner beaucoup. Dans le négoce, hors achats intracommunautaires et activités saisonnières, se retrouver avec un crédit de TVA est même souvent synonyme d’une mauvaise période durant laquelle les dépenses ont été plus importantes que les encaissements. Aussi, le seuil d’assujettissement de TVA déjà existant, supposé être un coup de pouce fiscal pour les micro-entrepreneurs, se révèle souvent être un plafond de verre que beaucoup d’entre eux craignent de dépasser au point de freiner délibérément la croissance de leur activité, voire de l’arrêter complètement jusqu’au prochain exercice fiscal. Jamais travailler plus ne devrait signifier gagner moins.
Cap difficile
Plutôt que de propager l’idée que l’assujettissement à la TVA signerait forcément l’arrêt de mort des micro-entreprises, pourquoi ne pas les accompagner dans ce changement et leur développement ? Il s’agirait d’encourager les micro-entrepreneurs, les former à facturer et à établir des déclarations de TVA. Une fois passé ce cap, ce serait un frein de moins au développement de leur activité. Je ne dis pas que toute micro-entreprise a vocation à devenir une PME ou multinationale mais, économiquement, nous avons tout à gagner à tirer les entreprises françaises vers le haut.
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Si l’on parle de justice, cela fait plusieurs années que certains dirigeants de TPE et PME assujettis à la TVA dénoncent la concurrence déloyale des micro-entrepreneurs. Ceux-ci, pour un même service (ou vente de biens), dans un même secteur d’activité, peuvent afficher des tarifs potentiellement plus concurrentiels (la TVA représentant jusqu’à 20% du prix de vente) alors que quelques centaines ou milliers d’euros seulement séparent les chiffres d’affaires des deux entreprises concurrentes. Les clients eux-mêmes sont parfois perdus dans ces différences de facturation.
C’est le consommateur qui paie !
Rappelons également que la TVA n’est pas un impôt pour les entreprises mais bien une taxe dont le consommateur s’acquitte. On pourrait même dire que c’est un impôt « juste » puisque tout le monde le paye à hauteur de sa consommation. L’entreprise, elle, n’est que collectrice de la TVA, obligée certes de la reverser mais autorisée également à la récupérer sur ses achats ! Même lorsque l’activité est une prestation de service, le non-paiement de TVA sur les achats peut s’avérer très intéressante, que ce soit pour de la communication, du matériel ou même simplement les fournitures administratives indispensables à toute activité aussi modeste soit-elle. Dans le cas d’une activité de négoce avec une TVA à 20% par exemple, l’entrepreneur devra certes augmenter un peu ses tarifs mais cette inflation ne sera pas d’un pourcentage équivalent puisqu’une grande partie sera compensée par la récupération de la TVA sur ses achats.
Si le contenu de cette mesure fiscale ne me choque pas, sa mise en place me laisse en revanche dubitative. Faire cette annonce début février pour une application la même année, c’est méconnaître complètement les réalités du terrain et nier le bouleversement qu’un changement fiscal représente pour les micro-entrepreneurs, obligés, dans l’urgence et le stress, de revoir leur tarification, leur comptabilité et parfois toute leur organisation. En outre, cette mesure aurait été mieux accueillie si elle n’avait pas été isolée mais intégrée à un projet plus global visant par exemple à simplifier la fiscalité des entreprises, quelle que soit leur taille.
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