Négociations en Turquie : qui veut diriger l’opposition syrienne?


Négociations en Turquie : qui veut diriger l’opposition syrienne?

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Les chefs d’Etat européens commémorent aujourd’hui le centenaire du génocide arménien, au grand dam de la Turquie, laquelle se contente de reconnaître l’existence de « massacres » interethniques au crépuscule de l’Empire ottoman. Même le président allemand s’est permis de sortir de son rôle protocolaire pour présenter des excuses nationales car le Deuxième Reich a activement collaboré aux exactions que pilotaient les Jeunes-Turcs.

Mais du côté d’Ankara, plutôt que d’expier un passé qui ne passe pas et de pacifier les relations avec le petit voisin arménien, la diplomatie turque se tourne vers un autre pays limitrophe qu’elle surveille comme le lait sur le feu : la Syrie. Suspectée de laisser l’Etat islamique prospérer sans mot dire, voire d’encourager son expansion aux dépens des forces kurdes, la Turquie des Frères musulmans tente de donner des gages tant à ses alliés arabes sunnites qu’à ses partenaires occidentaux.

Avec le concours de l’Arabie Saoudite, le gouvernement turc vient de lancer une grande compétition pour diriger « l’opposition syrienne légitime », maintenant que l’Armée syrienne libre s’est faite phagocyter par les groupes islamistes, au ravissement d’un Bachar Al-Assad qui voit sa propagande devenir réalité. À l’exception de quelques poches, essentiellement au sud de Damas, l’armée baasiste suppléée par le Hezbollah et des officiers iraniens – à moins que ce ne soit l’inverse – lutte en effet contre des phalanges terroristes d’inspiration takfirie. Exit le Front Al-Nosra, qu’Ankara et Riyad ont désespérément poussé à se désolidariser de la franchise Al-Qaïda afin de gagner en respectabilité, les Turcs et Saoudiens ont un nouveau poulain : Jayche-al-Islam (L’Armée de l’islam). Comme le laisse entendre sa dénomination, cette brigade n’est pas vraiment un rassemblement de musulmans démocrates, mais un groupe salafiste actuellement postée dans la Ghouta orientale, en périphérie de Damas. Son chef Zahran Allouche, la quarantaine, ancien étudiant à Médine, financé par l’Arabie, se trouve à Istanbul pour des tractations avec les autorités en vue de constituer un grand front islamique d’opposition contre l’Etat syrien, Daech et Al-Nosra susceptible de rassurer les Occidentaux.

Zahran Allouche n’est pas un perdreau de l’année. Il y a deux ans, il s’était illustré en pillant les stocks d’armes du poste-frontière turco-syrien de Bab Al-Hawa. Depuis, il s’est taillé une réputation de dur à cuire : dans son fief de Douma, d’où il espère menacer la capitale syrienne, Allouche est parvenu à soumettre l’ensemble des forces armées d’opposition, qu’il menaçait de son courroux. Entre la reddition, synonyme d’embrigadement dans l’armée arabe syrienne (voire de mort certaine en prison), et l’allégeance à « L’Armée de l’islam », les combattants damascènes d’Ahrar-a-Cham ont choisi. Dans sa marche vers la direction de l’opposition, Zahran Allouche essaie de fédérer les seigneurs de la guerre islamistes qui combattent les forces loyalistes et le Hezbollah dans les montagnes du Qalamoun, aux confins de la Syrie et du Liban. Jusqu’ici sans grand succès. Malgré la stabilisation globale du front, Al-Nosra et l’Etat islamique grignotent des portions de territoires au nord d’Alep, dans la province d’Idleb. Il faut bien reconnaître que le djihadisme global séduit bien davantage les djihadistes occidentaux que des groupuscules plus méconnus comme Jayche-al-islam.

Quand l’émotion des commémorations arméniennes retombera, Erdogan prendra probablement langue avec ses « alliés » de l’OTAN pour leur vendre son projet de force armée syrienne légitime. Maintenant que les réfugiés se noient dans la Méditerranée, que les chrétiens d’Orient fuient leur terre natale devant l’Etat islamique, la compassion n’est pas encore de mise pour les civils syriens vivant sous la coupe de milices. Il y a fort à parier que notre grand allié saoudien, auquel nous fournissons armes, chars et Mirage, prétendra que seule « L’Armée de l’islam » a la capacité de s’opposer à Daech sur son propre terrain. Et c’est ainsi que le salafisme est « modéré ».



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est journaliste.

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