Une Turque de 24 ans attaque en justice son père, qui l’a mariée de force quand elle avait six ans, et son mari, qui l’a violée et battue pendant 18 ans, dans le silence pesant des médias européens. Le père risque 22 ans de prison, le mari 68 ans. En Turquie, où le poids de la tradition religieuse explique pour partie les violences envers les femmes, la malheureuse est seulement connue sous ses initiales: HKG. Mais depuis que l’affaire a été rendue publique, un vif débat anime le pays sur les liens entre les religieux et le pouvoir.
Le prix Nobel d’Annie Ernaux marquerait-il la fin de l’histoire pour le féminicide ?
« En 2022, 146 féminicides conjugaux ont eu lieu depuis le 1er janvier (nombre au 31 décembre 2022), selon le CollectifNousToutes et 8 féminicides non conjugaux. » Cette phrase, qui débute l’article de Wikipedia sur le sujet, souligne un vocabulairicide : « féminicide », s’il existait, signifierait l’extermination de toutes les femmes.
Tuer un être humain est un homicide. Que cet être soit un homme, une femme, un droitier, un gaucher ou un ambidextre, qu’il ou elle choisisse plutôt des partenaires blondes, roux ou chauves, ce sont des particularités singulières qui ne changent rien à l’acte : quand on tue un individu, on commet un homicide. Quand on tue un peuple entier, c’est un génocide.
La loi distingue le parricide (qui concerne l’un des deux parents, quel que soit son sexe) et l’infanticide (l’homicide volontaire d’un enfant). Entre les deux, il n’y a pas d’espace juridique ou sémantique pour le féminicide, pour le privilègeblancocide ou pour l’épiciéricide.
Féminicide: proportionnel ou disproportionné ?
La France a 67,5 millions d’habitants, la Turquie 85 millions soit 25% de plus. Ces deux pays ont en commun d’être les seuls États constitutionnellement laïques. On pourrait imaginer que la Turquie connaît 25% de « féminicides » de plus que nous. Faux : la Turquie a 125% de plus d’épouses/concubines/fiancées/compagnes tuées par leur conjoint. Au total, entre le 1er janvier et le 11 novembre 2022, la TKDF (Fédération turque des associations de femmes) a comptabilisé 327 femmes assassinées par leurs maris, ex-maris, fiancés et partenaires. Le mariage de filles et de femmes mineures fait partie de la culture musulmane et Recep Tayip Erdogan, qui dirige la marche turque hors de la laïcité, s’en accommode parfaitement, puisqu’il a autorisé, en novembre 2017, les imams à célébrer, en même temps que les mariages religieux, les actes civils, qui seuls, sont reconnus par l’État depuis 1924. Jusqu’alors, le mariage civil, officié par un fonctionnaire, devait précéder le mariage religieux.
En juillet 2021, il a retiré la Turquie de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, alias Convention d’Istanbul, qu’il avait signée en 2011.
Reem Alsalem, experte indépendante des droits de l’homme nommée par l’ONU, a estimé que cette décision « pourrait considérablement entraver les efforts déployés pour résoudre ce problème ». Elle ne « pourrait » pas, elle « devrait », puisque tel est le but de la manœuvre !
Avec un gestionnaire du Droit international incapable d’appeler un chat à neuf queues un shah, les Turques ne sont pas près d’être protégées des mariages forcés et des violences conjugales.
En général et en particulier
Selon les chiffres de l’ONU, environ une femme sur 4 en Turquie a subi des violences physiques ou sexuelles de la part de son partenaire. Et « des centaines de féminicides ont probablement lieu chaque année, bien qu’il y ait peu de signalements, en raison d’un manque de confiance dans les mécanismes de protection, d’une impunité généralisée et de préjugés et de discriminations liés au genre. »
Un courageux chroniqueur turc, Yilmaz Ozdil [1], a listé un certain nombre de mariages forcés dans son pays au cours des dernières années :
- Une fille de 11 ans, mariée par un imam, a accouché dans la province de Bolu.
- Une fille de 12 ans a accouché sous une fausse carte d’identité indiquant qu’elle avait 18 ans, dans la province de Gaziantep.
- Une fille de 12 ans a accouché dans la province d’Izmir.
- Une fille a été mariée de force à 12 ans, est devenue mère à 13 ans et s’est suicidée à 14 ans, dans la province de Siirt.
- Une fille de 13 ans, mariée de force à un homme de 40 ans, s’est enfuie après de graves violences de la part du mari. Sa famille l’a rejetée. À 17 ans, elle s’est retrouvée à la rue avec ses trois enfants, dans la province d’Ordu.
- Un notaire a été pris le stylo dans l’acte de mariage illégal d’une fille de 14 ans, dans la province de Tekirdag.
- Une fille de 12 ans, enceinte de quatre mois, a été mariée de force, dans la province de Tokat.
Cerise sur la chéchia, une gamine de 6 ans mariée de force
Un cheikh proche d’Erdogan et à lui tout dévoué, Yusuf Ziya Gümüşel, avait marié sa fille de six ans à un sien disciple de 29 ans. Violée aussitôt, elle n’était pourtant devenue mère qu’à 14 ans. Elle a rongé son frein et, aujourd’hui, âgée de 24 ans, HKG a porté plainte [2]. Mais les autorités ont fait profil bas devant le cheikh et ses hautes relations.
Elle avait amassé suffisamment d’indignation et de preuves de violences et de viol : elle a publié l’une et les autres sur les réseaux sociaux.
Cela a fini par décider la Justice à regarder son cas, en laissant, au départ, le père et le mari suspects en liberté. Sous la pression de l’opinion publique, les présumés coupables ont finalement été placés en détention. Le cher papa, ou plutôt le cheikh-père, a publié une déclaration, selon laquelle il ne reconnaît aucun tribunal humain, n’ayant de comptes à rendre qu’à Allah. Le procureur n’en a pas tenu compte : il a requis 67 ans de prison pour Kadir Istekli, le « mari » et 27 pour les parents de la victime, Yusuf Ziya Gümüşel et Fatma Gümüşel.
Anne, ma sœur Anne, n’entends-tu rien gémir ?
Non, je ne vois que les chiennes de garde qui n’aboient pas, les médias qui évitoient le sujet, les intersectionnelles qui rougeoient et la morale qui se noie.
[1] En VO turque : https://www.sozcu.com.tr/2022/yazarlar/yilmaz-ozdil/bebek-gelin-7521744/
En anglais : www.gatestoneinstitute.org/19273/turkey-child-marriage
[2] On n’a pas changé son prénom : on ne connaît que ses initiales.