En Tunisie, le parti majoritaire Ennahda, faute d’avoir inscrit la charia dans la Constitution, se rattrape par une surenchère verbale très imaginative. Ainsi, goûtant aux joies du pouvoir, le mouvement islamo-conservateur a tenté de disqualifier les grandes manifestations de mardi, lors de la « journée des martyrs » de la nation, tout en condamnant la répression policière. Pour ménager la chèvre et le chou, quitte à faire oublier que les forces de sécurité dépendent de l’Etat, qui est censé monopoliser la violence légitime, le guide spirituel d’Ennahda, Rached Ghannouchi, a déploré tout usage de la force, qu’il provienne « de la police ou des manifestants ».
Habile manœuvre pour se laver les mains, devancer les accusations de bavure et accessoirement discréditer son opposition, notamment composée d’un Parti Communiste (Ettajdid) qui, pour s’être structuré dans un front commun anti-islamiste, n’en garde pas moins un attachement constant à des figures aussi peu halal que Jacques Prévert ou Georges Brassens.
Mais le meilleur est à venir. Afin d’incarner le parti de l’ordre, de la stabilité et de la prospérité à recouvrer, le chef charismatique d’Ennahda a violemment mis en cause les « anarchistes staliniens » responsables du « chaos » ambiant à Tunis. Si l’atmosphère postrévolutionnaire n’est pas entièrement retombée après l’élection de l’Assemblée Constituante, on peut juger ce néologisme de la science politique un chouïa oxymorique.
Parce qu’à ce compte-là, dans l’hexagone, on parlera bientôt de milices « guevaro-capitalistes » aux mains du MEDEF, de provocateurs « gaucho-réactionnaires » (dépêchez-vous, le brevet n’a pas encore été déposé par Pascal Perrineau et Dominique Reynié) ou de nervis « trotsko-fascistes ».
Une dernière question, pour revenir de l’autre côté de la Méditerranée : de quel sobriquet désigner les alliés degôche d’Ennahda, j’ai nommé le Congrès Pour la République du Président Marzouki et Ettakatol : islamo-laïcs ou gaucho-masochistes ?
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