Lors des émeutes violentes qui ont secoué l’Angleterre et l’Irlande du Nord cet été, le gouvernement britannique a proclamé haut et fort que la responsabilité pour ce désordre était à mettre entièrement sur le compte d’une « extrême-droite » coupable, selon lui, de répandre sur les réseaux sociaux de fausses informations concernant la motivation de l’auteur d’une tuerie dans un atelier de danse pour petites filles. Aujourd’hui, les autorités révèlent la vérité qu’elles nous cachaient dès le début de l’affaire.
Vous souvenez-vous de Southport ? Le passage accéléré du temps médiatique fait que même les événements les plus tragiques s’estompent trop rapidement dans la mémoire collective. C’est sans doute ce sur quoi comptaient les autorités policières et politiques, outre-Manche, quand elles ont décidé de garder pour elles certaines informations qu’elles se voient contraintes de rendre publiques aujourd’hui.
Une attaque sanglante contre des enfants
C’était le 29 juillet qu’un individu alors âgé de 17 ans, Axel Rudakubana, issu de l’immigration rwandaise au Royaume Uni, a fait irruption dans des locaux où se tenait un atelier de danse et de yoga pour enfants de six à onze ans, atelier ayant pour thème la musique et le jeu scénique de Taylor Swift. Personne à Southport, ville balnéaire tranquille à 27 kilomètres au nord de Liverpool dans le nord-ouest de l’Angleterre, ne s’attendait à une attaque d’une telle férocité. Avant d’être neutralisé et arrêté par les forces de l’ordre, le suspect a poignardé neuf enfants et deux adultes qui essayaient en vain de protéger ces dernières. Deux des petites filles ont succombé immédiatement à leurs blessures, la troisième le lendemain.
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Initialement, les autorités ont tu l’identité de l’assassin présumé sous prétexte qu’il était mineur. Mais le 1er août, un magistrat plus avisé a décidé de rendre l’information publique afin de contrer la spéculation générale alimentée jusqu’alors par le silence. Malheureusement, cette décision, saine mais tardive, n’a pas du tout suffi à convaincre le public que les autorités ne leur cachaient rien. Car entre temps, la police avait déclaré formellement que le crime n’était pas considéré comme un acte terroriste. Beaucoup de citoyens et Nigel Farage, le chef du parti Reform UK récemment élu député, y ont soupçonné une tentative hâtive d’exclure toute hypothèse prêtant un caractère religieux ou ethnique à un crime qui pouvait ressembler à un attentat planifié. Le fait que M. Rudakubana avait été diagnostiqué comme autiste a été largement cité dans les médias de manière à focaliser l’attention sur une probable motivation psychopathologique. Flairant déjà une forme de cafouillage, une partie du public a donné libre carrière à ses soupçons.
Breaking news en Angleterre
Or, nous apprenons aujourd’hui que ces soupçons étaient au moins partiellement justifiés. Le 29 octobre, à la veille de la première comparution au tribunal de l’accusé, l’autorité policière de Merseyside, la région de Liverpool, a donné une conférence de presse pour annoncer que les enquêteurs avaient découvert chez M. Rudakubana une quantité de ricine, un poison dangereux, ainsi qu’un manuel de terrorisme islamiste, sous forme de document PDF, intitulé « Military Studies In The Jihad Against The Tyrants. The Al Qaeda Training Manual » (trad. Études militaires pour le Jihad contre les tyrans. Le manuel d’entrainement d’Al-Qaïda). Soulignant le fait qu’aucune trace de ricine n’avait été trouvée sur le lieu du crime, le chef de la police, Serena Kennedy, a insisté sur le fait que les enquêteurs n’avaient toujours pas assez de preuves pour affirmer qu’il s’agit d’un attentat terroriste.
Première conclusion : quand les autorités ont déclaré dès le 29 juillet qu’elles ne considéraient pas la tuerie comme un acte terroriste (« …not being treated as terror-related »), elles ne se sont pas montrées tout à fait honnêtes. La vérité, c’est qu’elles ne détenaient pas encore assez de preuves pour être certaines du caractère djihadiste de l’attentat, bien qu’elles pussent – et peuvent encore – soupçonner que c’était le cas. A l’époque des émeutes, tous ceux qui ont émis l’hypothèse que le crime avait quelque chose à voir avec l’islamisme étaient traités par le gouvernement et la plupart des médias de racistes islamophobes. Il s’avère maintenant que la méfiance dont ces personnes ont fait preuve à l’égard de l’explication officielle était au moins partiellement fondée.
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Deuxième conclusion : ce sont précisément les cachotteries des autorités qui ont alimenté spéculations et soupçons. Comme l’a observé avec beaucoup de prescience notre confrère Eliott Mamane, dans un article publié dès le 9 août dans Marianne : « Si le gouvernement britannique avait immédiatement donné des précisions sur les éventuelles motivations idéologiques derrière les actions du mis en cause ou sur son état mental, aucun acteur mal intentionné n’aurait pu manipuler le récit des événements ». On a du mal à croire que, une fois mise en possession des informations obtenues par la fouille de la maison familiale du suspect, la police n’en a pas informé le gouvernement.
Troisième conclusion : l’opération de communication du Premier ministre Sir Keir Starmer et de son gouvernement, qui consistait à mettre toute la responsabilité pour les émeutes sur le compte de désinformations propagées sur les réseaux par des acteurs dits d’extrême-droite se retourne aujourd’hui contre eux. La désinformation a commencé avec les autorités.
Maintenant que la mèche a été vendue, la police et le gouvernement, ainsi que leurs serviteurs médiatiques, essaient de se tirer d’affaire en nous rappelant que même aujourd’hui toute spéculation sur la motivation du tueur serait préjudiciable à un procès équitable. Pourtant, quand M. Starmer proclamait à tue-tête cet été que les personnes impliquées dans les violences étaient des « voyous d’extrême-droite » qui méritaient les peines les plus sévères, il n’était pas en train de préjuger du résultat des poursuites que l’État allait engager contre des centaines de citoyens britanniques ? Nos gouvernants ont deux problèmes apparemment : un premier avec la vérité, et un autre avec leurs citoyens. Un des tubes de Taylor Swift s’intitule « Blank Space » (espace blanc) : cela dit bien le vide créé par les atermoiements et la dissimulation des autorités. Un autre s’appelle « Bad Blood » (rancœur) : cette fois, c’est le mélange de ressentiment et de méfiance qui a résulté de l’affaire de Southport et qui durera longtemps.
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