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«Tsunami» de Marc Dugain, un roman qui emporte

«Tsunami» de Marc Dugain (Albin Michel, 2023)


«Tsunami» de Marc Dugain, un roman qui emporte
Le romancier français Marc Dugain © Samuel Kirszenbaum / Albin Michel

La fiction déferle sur le réel à moins que ça ne soit l’inverse.


Après L’Emprise et Transparence, Marc Dugain signe un nouveau roman d’anticipation aux accents voltairiens : Tsunami. C’est une fable politique mâtinée de réalisme qu’on prend plaisir à lire tant elle multiplie les rebondissements romanesques sombres voire tragiques, ou, au contraire, cocasses. Sous le mandat du prochain président de la République qui navigue à vue dans un monde menacé par le réchauffement climatique et asservi au numérique, l’auteur croque une France révoltée et violente. Le narrateur du roman n’est autre que ce chef de l’État à venir qui nous donne à lire, chroniqués sur le vif, et émaillés de ses réflexions personnelles sur l’exercice du pouvoir, trois mois de son quotidien à la tête du pays. Fiction et actualité semblent alors miraculeusement fusionner pour un lecteur conquis.

Quand on fait remarquer à Marc Dugain la coïncidence, saisissante, entre notre actualité et la fiction, dans ce roman d’un délitement français, l’auteur rappelle ces mots de Goethe : « Les gens n’ont pas assez d’imagination pour imaginer le réel » 

Startup nation

Jeune et marié à une journaliste farouchement attachée à son indépendance, cet homme a fait fortune en créant une start-up de biotech qui a rendu possible, grâce à la génétique cellulaire, un rajeunissement de plus de 30 ans. Cette séduisante perspective de tenir l’âge en respect a conquis les électeurs. Aussi, au terme d’une campagne soutenue par les GAFAM, et grâce aux réseaux sociaux, cet homme étranger au sérail politique a investi l’Élysée.

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Le voilà président ; les emmerdes commencent : sa dealeuse en cocaïne est arrêtée, les services secrets lui demandent l’autorisation de liquider une djihadiste de retour sur le sol français et sa femme le quitte pour son meilleur ami, lui laissant leur fille sur les bras ! « J’ai beau fouiller dans ma mémoire, je n’ai pas le souvenir de l’histoire d’un président père d’un enfant né d’une mère porteuse, conçu pour consolider le couple qu’il forme avec sa femme qui le trompe avant de le quitter. » Quant à Poutine, vieilli et malade, il est toujours là, embusqué, et bien décidé à rajeunir coûte que coûte pour continuer sa guerre contre l’Occident.

Adrénaline du pouvoir

Rien n’arrête notre homme constamment sollicité par une vie personnelle houleuse et des obligations permanentes. Le pouvoir, qu’on dit aphrodisiaque, le galvanise : « Je prends plaisir à l’adrénaline du pouvoir, comme le coureur de fond aux endorphines. Je suis sur un ring et je ressens la magie de rester debout malgré les coups qui pleuvent. »  Il veut réformer et envisage de supprimer le Sénat : « J’ai annoncé la liquidation de la Chambre des bourgeois balzaciens (…) pour lui substituer une Chambre virtuelle permettant à tous de voter sur tous les sujets d’importance. Une façon de connaître à tous moments l’état de l’opinion sous la forme d’un sondage continu… Je crée ainsi le cadre d’un référendum virtuel permanent. » Concomitamment, il entreprend une grande réforme écologique, imposant le bilan carbone contrôlé de chaque citoyen. Son « passe environnement individualisé » met tout le monde dans la rue…


Toute ressemblance…

Si on voit le président empêtré dans une vie personnelle aussi compliquée que l’exercice du pouvoir qui lui incombe douter et parfois même, fugitivement, se montrer humain, l’hôte de l’Élysée se reprend vite. Jamais, pour lui, de remise en question ou de pause dans l’action. Tel une locomotive qui se serait emballée, l’homme poursuit ses entreprises toujours plus avant, sans se retourner. Il n’est plus qu’une volonté, désireuse de façonner l’histoire et de se démarquer de ses devanciers : « Je n’ai pas été élu pour faire semblant, ni pour jouer la montre en attendant une hypothétique réélection. (…) Je ne vais pas me laisser endormir comme mes prédécesseurs. » C’est une blessure, remontant à l’enfance et dont il a parfaitement conscience qui décuple son énergie : « On a souvent dit qu’une des choses qui liait les présidents successifs sous la Ve République, c’était leur relation désastreuse avec leurs pères respectifs. » Notre Narcisse veut donc, lui, être « le père de la nation », sa mission est de veiller sur les Français que son épouse qualifie de « masse immature et infantile ». Il incombe à la figure paternelle tutélaire qu’il veut par-dessus tout incarner de guider des gens qui  « ne s’aiment pas vraiment entre eux mais attendent de l’État qu’il les force à se respecter. »

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Ce roman de la décomposition française qui confronte un exercice du pouvoir vertical à un désir d’horizontalité et de participation de plus en plus revendiqué par la société est un précipité de toutes les obsessions de l’auteur. On y note l’intérêt porté au pouvoir et à la solitude que confère sa pratique : « (…) des images me reviennent en tête (…) lors du dernier déjeuner dominical offert par Mitterrand à Latche à une brochette de ses proches. (…) On le voit longuement seul, son esprit errant dans les souvenirs de ce pouvoir qu’il a tant voulu (…) » La préoccupation du romancier pour l’environnement structure également ces chroniques fictives : « Nous nous croyons seuls au monde. L’individualisme forcené, le gaspillage, le mépris du vivant et des morts qui ont façonné nos paysages nous mènent au bord du gouffre et nous continuons à espérer béatement (…) alors que la vie disparaît tout autour de nous sans autre fracas que celui de notre inconséquence. » On relève aussi, tout particulièrement, la crainte d’un assujettissement au numérique qui isole l’individu et fissure son équilibre psychique : « La psychologie d’une personne se fonde en grande partie sur l’altérité, le rapport et la confrontation à l’autre. Les gens s’enferment progressivement derrières leurs écrans. (…) La perte de l’altérité, c’est la voie ouverte au délire psychotique. Ce sont les autres qui nous maintiennent dans la réalité, quand ils disparaissent, on se perd en nous-mêmes. »

Quand on fait remarquer à Marc Dugain la coïncidence, saisissante, entre notre actualité et la fiction, dans ce roman d’un délitement français, l’auteur rappelle ces mots de Goethe : « Les gens n’ont pas assez d’imagination pour imaginer le réel. » 

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est professeur de Lettres modernes

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