Accueil Monde Trump vs Zelensky: un coup prémédité ou un simple coup… de gueule?

Trump vs Zelensky: un coup prémédité ou un simple coup… de gueule?

Ukraine : comment expliquer le comportement de Trump vendredi dernier ?


Trump vs Zelensky: un coup prémédité ou un simple coup… de gueule?
Washington, 28 février 2025 © Samuel Corum/Sipa USA/SIPA

Connu pour la brutalité de son expression, le président américain semble avoir dépassé ses propres standards au cours de son entretien avec son homologue ukrainien vendredi 28 février. L’altercation présage-t-elle véritablement d’un nouveau positionnement de l’Amérique sur le fond ?


Les commentateurs médiatiques et diplomatiques n’ont eu de cesse, depuis vendredi dernier, de revenir sur l’échange entre MM. Zelensky, Trump et Vance dans le bureau ovale. En France comme aux États-Unis, il s’est agi de déterminer dans quelle mesure le dialogue avait pu être préparé par la partie américaine ou si son apparence spontanée était sincère. Dans le courant du week-end, la chaîne d’information progressiste MSNBC a par ailleurs rappelé que ce n’étaient pas des premières tensions advenant entre les exécutifs des deux pays : un échange du même acabit était survenu entre Biden et Zelensky — hors caméras, en l’occurrence.

Biden prudent

En juin 2022, le président démocrate avait en effet reproché à son homologue ukrainien de se montrer trop vindicatif et pas suffisamment reconnaissant dans ses relations avec la diplomatie américaine. Dès lors, on peut admettre que, si le prédécesseur de Donald Trump tenait un discours moins ambigu que l’actuel résident de la Maison Blanche, il a largement contraint l’Ukraine à une forme d’attentisme qui s’avère aujourd’hui mortifère. En effet, les États-Unis constituent à eux seuls près de la moitié de la somme déployée pour soutenir le pays depuis l’invasion russe. L’investissement est considérable, mais l’administration démocrate s’est constamment assurée que l’Ukraine ne dispose pas des moyens d’entreprendre une quelconque offense à l’encontre de l’agresseur.

A lire aussi: Thé glacial à la Maison-Blanche

Empêcher la prolifération du conflit était louable, bien entendu, mais le refus américain de consentir à l’octroi d’armes en mesure de frapper la Russie sur ses sites stratégiques a longtemps contraint l’Ukraine à une position d’extrême faiblesse dans son rapport de force. Cette posture, adoptée par Joe Biden, semble d’autant plus irresponsable a posteriori que l’incertitude du comportement de Trump était une donnée connue de longue date. Ce n’est par exemple qu’au cours de 2024 que les missiles semi-balistiques ATTACMS ont été livrés à l’Ukraine, qui en motivait la demande depuis longtemps, tandis que les premières frappes les employant n’ont été autorisées qu’à la fin de l’année.

Kiev, jusqu’alors contraint à une défense sous-dimensionnée face à l’invasion de son territoire et limité à la destruction des armements les plus proches de ses frontières, ne pouvait que difficilement freiner la progression russe. La seule opération consentie par Biden qui pourrait véritablement servir l’Ukraine dans les négociations que Trump souhaite entreprendre reste l’incursion dans la région de Koursk. En effet, à la différence d’une invasion, une incursion peut être légitime au regard du droit international lorsqu’elle permet l’accomplissement d’objectifs purement militaires, sans ambition politique ou civile ni établissement sur le long terme.

« Vous n’avez pas les cartes en main »

Depuis la semaine dernière, l’administration républicaine ne cesse de dire que Zelensky aurait dû adopter un comportement différent parce qu’il ne dispose en l’état actuel d’aucune « marge de manœuvre ». S’il est assurément en position de faiblesse, la présence ukrainienne à Koursk pourrait précisément constituer le seul poids à faire valoir dans la balance contre la Russie. Du reste, la domination aujourd’hui subie par l’Ukraine subsiste le signe d’un engagement de l’administration Biden bien plus modéré que les Démocrates aiment à le répéter depuis l’altercation entre Trump et Zelensky.

En outre, il reste indubitable que les dizaines de milliards de dollars envoyés par les États-Unis à l’Ukraine — des armements militaires d’une valeur inférieure à 100 milliards couplés à un soutien gouvernemental et humanitaire d’environ 100 milliards — ont conduit à une situation actuellement insatisfaisante. Si Volodymyr Zelensky avait souhaité changer la donne, ou du moins s’assurer d’un appui verbal loquace de la part de Donald Trump, il aurait pu mettre en œuvre une part du génie diplomatique dont il a fait preuve depuis février 2022.

A lire aussi: La ruée vers l’âge d’or

En effet, le président républicain est attaché à la diplomatie bilatérale qui a placé les États-Unis au centre du monde le siècle dernier. C’est-à-dire qu’il faut, face à lui, faire preuve d’une flagornerie telle qu’elle rebuterait tout individu à l’égo normalement dimensionné. Le célèbre analyste politique républicain de CNN, Scott Jennings, argumentait ainsi vendredi soir qu’il n’eût pas été bien difficile pour Zelensky de faire croire à Trump qu’il le considérait tout particulièrement : « tout ce qu’il avait à faire était de mettre une cravate, se montrer, sourire, dire “merci”, signer la paperasse, et aller manger. » Bien sûr, l’acharnement républicain contre la tenue de Zelensky prête à sourire au vu du style adopté par Elon Musk, mais il reste vrai que celui-ci est un bénévole au service du gouvernement fédéral, tandis que la visite du président ukrainien devait remplir d’autres objectifs.

Fox News prend ses distances avec Trump

Avec son attitude, Trump semble espérer retirer la Russie à l’axe sino-iranien qui se dessine. Il néglige cependant qu’il paraît invraisemblable que les autres démocraties libérales acceptent de réintégrer Vladimir Poutine à leur ordre diplomatique et économique. De surcroît, les bénéfices réalisés par la Russie grâce aux drones kamikazes iraniens et son alliance avec la Chine sont considérables.

Alors, le président américain pourrait-il changer de position ? Le thermomètre le plus efficace de la mentalité républicaine reste la chaîne d’information Fox News. Sur la question ukrainienne, depuis quelques semaines, on ne saurait la voir comme un soutien aveugle à l’administration en place. D’ailleurs, plusieurs membres du cabinet de Trump sont d’anciens présentateurs de Fox News et cette situation donne parfois lieu à des échanges incongrus. Le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, était par exemple interrogé par l’excellente Shannon Bream dimanche 23 février. Lorsque celui-ci a évoqué une simple « incursion » russe et refusé de reconnaître que l’Ukraine avait subi une invasion « unilatérale » de son voisin, la journaliste n’a pas hésité à faire remarquer à son ancien collègue qu’il condamnait avec affirmation la Russie quand il travaillait à Fox il y a quelques semaines encore.

En somme, si l’échange dans le bureau ovale vendredi confirme que Trump ne s’exprime pas comme Biden, le présenter comme le seul responsable d’un accord qui profitera plus à la Russie qu’à l’Ukraine relève d’une étonnante glorification du mandat de Biden.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Pour que le plaisir dure encore longtemps…
Article suivant «Donald Trump est dans une logique transactionnelle permanente»
Journaliste

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération