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Retrait américain de Syrie et d’Afghanistan: Trump nous mène au désastre

Make Daech great again?


Retrait américain de Syrie et d’Afghanistan: Trump nous mène au désastre
Donald Trump avec les troupes américaines, septembre 2017, Maryland. Sipa. Numéro de reportage : SIPAUSA31433607_000009

Comme l’insinue le secrétaire américain à la Défense démissionnaire, l’impulsivité du président Donald Trump nous mène au désastre dans la guerre contre le terrorisme.


 

La capacité du président américain à insulter l’avenir par le simple – et impulsif – exercice du désengagement, est assez terrifiante. Du désengagement de l’accord de Paris, en passant par la menace de déchirer le  traité russo-américain sur l’élimination des missiles nucléaires à courte et moyenne portée (FNI) (à propos duquel certes les Russes trichent, mais qui évite néanmoins la reprise d’une course aux armements nucléaires incontrôlée), monsieur Trump sème compulsivement les graines des futures catastrophes. Voilà maintenant que, par sa soudaine décision de désengager les troupes américaines en Syrie et bientôt en Afghanistan, (ayant contredis et pris de court ses conseillers les plus proches, à l’instar du faucon Bolton, et surtout de son secrétaire à la défense James Mattis), le président américain est sur le point de permettre une tragédie, celle du peuple kurde une fois encore utilisé puis trahi, et par ailleurs de déstabiliser les alliés proches et lointains des USA, de saper pour longtemps l’honneur comme l’image de son pays, et partant la crédibilité, la confiance et le respect dont pouvait bénéficier la politique étrangère américaine.

Les Républicains consternés

Cette décision est déjà, en soi, une honte. D’ailleurs, les ténors du Parti républicain ne s’y sont pas trompés. Du sénateur Marco Rubio, ancien candidat à la présidence, au sénateur Lindsay Graham, lequel n’a pas hésité à qualifier la décision de Trump de « désastre » et de « tâche sur l’honneur des Etats-Unis »… Il y a de quoi, en effet. Livrer au président turc Erdogan la population majoritairement kurde du Rojava, cette région du Nord-Est de la Syrie, est à vomir. Je me suis déjà beaucoup exprimé sur cet autocrate islamiste mégalomane, obsédé par l’écrasement des Kurdes comme de toute opposition chez lui et à ses frontières. Mais quoi qu’on pense du personnage, on n’a pas fait mieux depuis l’abandon des Harkis et de leurs familles au FLN. Comme les harkis, les FDS (Forces Démocratiques Syriennes, majoritairement composées de Kurdes, alliés aux arabes et chrétiens du Nord de la Syrie) se sont battus courageusement, non seulement chez eux, à Kobane par exemple où les soldats turcs les observaient à la jumelle se faire bombarder par Daech, alors que la Turquie accueillait et soignait les blessés du califat autoproclamé, mais ailleurs, pour nous. Ce fut le cas à Raqqa, Deir-Ez-Zor et récemment Hajine, où, encadrés par les forces spéciales américaines, britanniques, françaises, les FDS ont repris un à un les fiefs syriens de Daech, parfois au prix de lourdes pertes face à la résistance ou aux contre-offensives de l’ennemi, de notre ennemi. Car cette guerre, les Kurdes l’ont faite en grande partie pour nous, à notre place, pour épargner nos soldats. Bien sûr avec leur agenda, leurs objectifs en tête : toucher les bénéfices de leur engagement par la réalisation de leur rêve politique de large autonomie du Rojava, si possible en unissant la partie Ouest à la partie Est de cette région, séparée par le corridor de Mambij. Mais c’est notre sécurité qu’ils défendaient aussi en se battant là-bas, et c’est bien pour cela que nous les avons armés, soutenus, utilisés, sans états d’âme… Les abandonner pour les livrer maintenant à la très probable (et annoncée) offensive turque – la troisième- contre les Kurdes en territoire syrien, en toute conscience est une infamie.

Daech renaîtra de ses cendres

Les FDS vont bien sûr devoir stopper l’offensive contre le dernier réduit territorial de Daech en Syrie, et permettre ainsi à cette organisation de renaître prochainement de ses cendres, avec ce que cela implique pour notre sécurité. Et il ne reste aux Kurdes, pour échapper au carnage (comme dans la poche d’Afrin « nettoyée » par les Turcs lors de leurs dernière offensive dans le Nord syrien) qu’à tenter de pactiser avec le régime de Bachar Al-Assad, en cédant l’acquis gagné par les sacrifices au combat,  c’est-à dire l’autonomie de fait politique et administrative du Rojava… contre la protection des forces du régime et de ses alliés, Iran, Hezbollah, Russie, contre les troupes d’Erdogan pour qui tout début de territoire kurde « libre » à ses frontières est insupportable. Entre la peste et le choléra… Eternels floués de l’histoire, les Kurdes syriens n’oublieront pas de sitôt cette trahison américaine, et l’on peut souhaiter bonne chance à une future administration américaine pour trouver demain dans la région des alliés fiables sur le terrain pour mener les guerres qu’exigera sa – notre – sécurité. Enfin, une crise humanitaire, une de plus dans cette guerre, mais qui aurait pu être évitée, celle-là, se profile en cas d’offensive turque, loin des ONG qui risquent de se voir alors obligées d’évacuer…

On connaît les bénéficiaires de la trahison historique trumpienne : les Turcs d’abord, à court terme, le régime de Bachar Al-Assad, conforté et avec les mains encore plus libres pour reconquérir à sa manière les territoires perdus, l’Iran et ses alliés (Hezbollah), et bien sûr la Russie, qui rafle le jackpot, en devenant par l’irresponsabilité du président américain le seul acteur de poids dans la région et l’arbitre des rapports de force, au mieux de ses intérêts… Enfin, n’oublions pas le bénéficiaire immédiat, Daech, pour qui la décision de retrait prise par Trump, qui implique non seulement les quelques deux-mille soldats des forces spéciales US au sol mais aussi les frappes aériennes américaines, est une divine surprise.

L’étoile américaine pâlit 

Les perdants, ce sont nous, les Occidentaux, mais d’abord et avant tout les USA. L’image de ce pays est gravement abîmé, et pour longtemps. Les alliés européens, Grande-Bretagne, France, Allemagne, sont déstabilisés, ne comprennent pas, et s’inquiètent, à juste titre, des conséquences. Cette perte de confiance envers la parole américaine touche aussi les alliés les plus lointains, mais pas les moins importants, de celle-ci. Des partenaires aussi anciens et aussi vitaux que l’Australie, le Japon ou la Corée du Sud expriment leurs doutes quant à l’engagement américain à leurs côtés, face demain à la Chine ou la Corée du Nord.

Pour revenir au Moyen-Orient, l’allié de toujours, Israël, se retrouve aujourd’hui seul face à l’Iran, à l’incertitude syrienne et régionale. Le premier ministre Benjamin Netanyahou a exprimé, dans un communiqué laconique, l’inquiétude son pays après la décision de Trump, tout en réaffirmant la détermination israélienne à agir devant toute menace, mais on perçoit la réprobation, l’incompréhension, la déception, et une certain forme d’angoisse, aussi, à se voir ainsi négligé, oublié, dans une décision aux portées aussi incalculables. Il en est de même du gouvernement irakien, qui peut s’interroger sur la solidité de l’appui américain dont il dispose, alors que la reconstruction de l’état est à peine entamée, que les cellules clandestines de Daech frappent de plus en plus, et que les fragilités politiques de ce pays divisé sont loin d’avoir disparu.

Vers une guerre de l’eau ?

Plus largement, le désengagement américain dans la région est susceptible à terme de permettre le surgissement de prochains conflits. Prenons un exemple : la Turquie, qui est en amont des fleuves Tigre et Euphrate, se comporte sur ces sources d’eau douce vitales pour les populations de Syrie et d’Irak comme un dictateur régional hégémonique, bâtissant des barrages qui assoiffent déjà les habitants de Bagdad, et demain les plaines syriennes… On peut douter que la Russie prenne la peine d’œuvrer, d’influer, pour éviter un conflit armé entre Turquie, Irak et Syrie, demain, pour la ressource en eau.

L’autre pays concerné par la brusque décision de Trump est l’Afghanistan, car le retrait syrien, tel qu’annoncé, précède celui d’au moins sept-mille soldats américains d’Afghanistan. Au moment où les Talibans contrôlent près de 50 % du territoire, afghan, que l’armée afghane subit des pertes de moins en moins soutenables, que le gouvernement de Kaboul est de plus en plus fragilisé, et ce d’autant plus que les Américains ont entamé des discussions avec les représentant des Talibans en excluant de ceux-ci les émissaires des autorités de Kaboul, cette annonce est désastreuse. On entrevoit déjà le mauvais accord conclu par défaut avec les Talibans pour pouvoir s’échapper du terrain afghan… et l’inévitable effondrement du gouvernement afghan et de son armée, une fois les troupes US parties, puis une nouvelle chute de Kaboul, un retour aux années pré-septembre 2001 ou l’Afghanistan était le sanctuaire du djihadisme international (même si les Talibans combattent Daech en Afghanistan, mais il n’y a pas que Daech, et Al-Qaïda, profitant des difficultés du califat autoproclamé, se prépare discrètement à revenir en force). L’histoire recommence…

Ne lâchons pas les Kurdes

Le général James Mattis, secrétaire américain à la Défense, a tiré les conclusions de l’inconséquence de son président, en présentant immédiatement sa démission. Dans sa lettre expliquant celle-ci à Donald Trump, il a parfaitement résumé tout ce qui se joue dans cette affaire : « il faut traiter les alliés avec respect… nous devons faire tout notre possible pour favoriser un ordre international propice à notre sécurité, notre prospérité et nos valeurs, et nous sommes renforcés dans cet effort par la solidarité de nos alliances…. De même, je suis convaincu qu’il nous faut être résolus et sans ambiguïté dans notre approche envers les pays dont les intérêts stratégiques sont de plus en plus opposés aux nôtres ».

Face à l’art du désastre trumpien, le gouvernement français, comme celui de la Grande-Bretagne et d’autres pays occidentaux impliqués militairement au Moyen-Orient, doivent faire preuve de fermeté, de lucidité, de responsabilité, et maintenir leur engagement sans faille, sans trahir nos alliés kurdes. Les deux coprésidents du Conseil démocratique du Rojava syrien, la fédération autonome dirigée par les Kurdes, Riad Darar et Ilham Ahmed, ont été reçus à Paris vendredi 21 dernier. Ils attendent de la France qu’elle s’implique encore plus, notamment face à la double menace turque et de Daech. Espérons que nos déclarations d’intention auront plus de valeur que l’engagement américain.

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est écrivain.

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