Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.
« Que tout meure avec moi, non, que tout reste après moi. Non, que tout meure. Non que tout reste. Non, que tout meure, que tout reste, que tout meure. » Ainsi parle Béranger Ier dans Le roi se meurt de Ionesco. Entre déni et indécision, Béranger Ier refuse sa fin et surtout de quitter le pouvoir. Il y a du Béranger chez Trump dans la manière de refuser contre toute logique la mort, certes symbolique, que représente sa défaite, comme en témoignent de nombreux tweets : « J’AI GAGNÉ CETTE ÉLECTION, DE LOIN ! » le 7 novembre (en majuscules) ou encore « ON VA GAGNER ! » le 11 novembre (toujours en majuscules.)
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Après tout, n’avait-il pas surmonté l’épreuve du coronavirus dont il a dit : « Être infecté par la Covid-19 était une bénédiction de Dieu », révélant une conception du souverain proche de Bossuet, dans sa Politique tirée de l’Écriture sainte : « Aussi Dieu a-t-il mis dans les princes quelque chose de divin. »
Trump, Ubu roi
La volonté d’exercer le pouvoir jusqu’à la fin se retrouve dans un autre roi de théâtre, le Père Ubu. Cette comparaison ne juge en aucun cas la politique du président battu, c’est à d’autres de s’en charger, mais plutôt des comportements familiers au vieux lecteur d’Alfred Jarry qu’est votre serviteur. Jarry est un des premiers à montrer ce que Pasolini appellera, à propos de son film Salo, « l’anarchisme du pouvoir » et Trump en a donné des exemples récents qui transforment sa défaite en acte III d’Ubu Roi quand celui-ci envoie à la trappe les nobles, les financiers et à la fin les magistrats eux-mêmes :
« Les magistrats : Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles. / Père Ubu : À la trappe les magistrats ! (Ils se débattent en vain.) / Mère Ubu : Eh ! que fais-tu, Père Ubu ? Qui rendra maintenant la justice ? / Père Ubu : Tiens ! moi. Tu verras comme ça marchera bien. »
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Trump limoge ainsi son ministre de la Défense le 9 novembre, c’est-à-dire après l’élection perdue. Le désaveu de son ministre de la Justice, William Barr, après la déroute judiciaire de Giulani, ne l’arrête pas. On a même vu, dans une surenchère typiquement ubuesque, un avocat de Trump demander implicitement l’exécution de Chris Krebs, le responsable des élections limogé par Trump. « Quiconque pense que l’élection s’est bien passée, comme cet idiot de Krebs […] devrait être arrêté et écartelé. Sorti à l’aube et abattu », a ainsi déclaré, tout en douceur, Joseph di Genova qui aurait aussi bien pu entonner La Chanson du décervelage, l’hymne préféré du Père Ubu :
« Nous allions voir le décervelage
[…] Ru’ d’l’Échaudé, passer un bon moment.
“Voyez, voyez la machin’ tourner,
“Voyez, voyez la cervell’ sauter,
[Chœurs :] “Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !” »
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