J’ai vu True Grit pour consoler les frères Coen, injustement boudés par les Oscars. Eh bien, en tant que fan, je vous dois la vérité : c’est un foutu bon film certes, mais pas leur meilleur. Il n’ébranle même pas mon podium à moi (O’Brother, The Big Lebowski, Fargo).
Allez-y, contredisez-moi, citez d’autres titres… Ça ne fera que conforter ma thèse: Joel et Ethan ont déjà construit une œuvre universelle. Sinon, je vous demande un peu : comment vous et moi, malgré nos différences ontologiques, y trouverions-nous des références communes ?
Accessoirement, True Grit est le meilleur western à l’ouest du Pecos depuis Sergio Leone. Rien à voir avec la pénible période cow-boy-scout de Clint Eastwood[1. Pour moi, Un Monde parfait et Gran Torino sont les plus belles expressions de cette nostalgie de l’absolu qui caractérise l’œuvre de l’ami Clint], quand il se la jouait pâle cavalier des hautes plaines impitoyables. Un « Bon » bien sûr, avec en face plein de brutes et de truands − mais privé, face à eux, de l’arme de l’humour que lui donnait Sergio. Un Zorro sans Bernardo, mais muet pour deux.
Au moins, le western des frères Coen nous épargne-t-il ce hiératisme en plastique. Interviewé par Les Inrocks, Joel se donne même du mal pour expliquer. « Des bonnes histoires, y’a que ça de vrai ! », répète-t-il patiemment à Serge Kaganski, qui s’acharne à lui faire dire ce qu’il veut à tout prix entendre : la quintessence du substrat philosophique présupposé de la filmographie coénienne. Vous ne comprenez pas tout ? Moi non plus. Alors, rien de tel que le verbatim :
– Serge : Vos films racontent des histoires souvent absurdes, pleines de méprises et de quiproquos. Voulez-vous montrer l’absurdité de la vie ? Ou signifier que l’on ne peut pas maîtriser tous les paramètres de son existence et que la liberté est illusoire ?
– Joel : (…) Ce genre de situations absurdes donne de bonnes histoires, et il n’y a que ça qui nous intéresse.
Mais il en faut plus pour démonter Kaganski, qui revient aussitôt à la charge pour rappeler les frères Coen à leurs responsabilités putatives :
– Serge : Vous êtes quand même conscients que, dans des films comme Sang pour Sang, Miller’s Crossing, Fargo ou A Serious Man, vos personnages sont tous dépassés par des enchaînements de situations incontrôlables, et que cette constante dans votre travail signifie peut-être quelque chose ? (En d’autres termes : votre œuvre a peut-être un sens qui vous dépasserait vous-mêmes, sans me vanter)
– Nous sommes parfaitement conscients de cet aspect de nos films, répond poliment Joel. Mais pour nous, ce sont avant tout de bonnes histoires…
L’artiste peint son tableau, chacun y voit ce qu’il veut, mais à quoi bon expliquer ce que l’on montre ?
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