Guerre ou terrorisme: la méthode des 6C invite les secours à revoir leur approche des militaires ou victimes en état de choc
Les troubles du stress post-traumatique (TSPT) sont un syndrome psychiatrique qui survient après un événement traumatisant. Le syndrome et ses symptômes ont été identifiés et nommés pendant la Première Guerre mondiale par Charles Samuel Myers, psychologue du service de santé des armées britanniques pour décrire le type de trouble dont souffraient de nombreux soldats pendant la guerre. Le syndrome a été appelé « Shell choc » (« obusite » en français), car pour Myers et les autres psychologues de l’époque, son origine était la violence de l’artillerie moderne, sans précédent dans l’histoire de la guerre.
Ce syndrome est un dysfonctionnement de la mémoire, saturée par un trop plein des stimuli sensoriels. La saturation génère un sentiment d’impuissance face à notre propre mort et celle des autres. Ce phénomène crée une véritable pathologie physiologique car il touche l’amygdale cérébrale impliquée dans la reconnaissance et l’évaluation émotionnelle de ces stimuli.
Ce phénomène frappe la victime d’effroi et provoque une sidération, un immense sentiment d’impuissance, confusion, solitude face à la mort, débordements émotionnels (cris, pleurs, agressivité) et une perception altérée de la réalité. Ceux-ci déclenchent des dysfonctionnements physiques et psychologiques graves. Ceux chez qui un état de TSPT est provoqué, développe une maladie invalidante : anxiété, agressivité, hypervigilance, troubles de la mémoire, incapacité à se concentrer, flashbacks, dépression voire tentative ou suicide.
Pendant la Seconde Guerre mondiale et par la suite, le diagnostic de « shell shock » a été remplacé par celui de « combat stress reaction ». Pendant des décennies après son identification ce syndrome a été mal vu, considéré comme l’expression de lâcheté ou d’un manque de volonté. Le cas le plus connu – et immortalisé par le cinéma – est celui du général américain George S. Patton qui a giflé deux soldats de l’armée américaine sous son commandement pendant la campagne de Sicile en 1943. Patton les a frappés et réprimandés après avoir découvert qu’ils étaient hospitalisés loin des lignes de front sans blessures physiques apparentes.
Une grande variété de symptômes et de personnes touchées
Aujourd’hui « l’obusite » ou le stress du combat font partis d’un phénomène beaucoup plus large : le « trouble de stress post-traumatique » (TSPT). Et même, si les militaires au combat sont les plus touchés, d’autres personnes exposées à des traumatismes intenses peuvent en souffrir.
Les TSPT se manifestent par la reviviscence régulière des évènements qui ont déclenché une émotion extrême, accompagnée de manifestations physiques. Ces troubles sont la source de souffrances psychiques et des complications physiologiques et comportementaux physiques qui altèrent profondément la vie affective, sociale et professionnelle. Ces troubles psychiques surviennent chez des personnes de tous âges exposées en tant que victime ou témoins à un événement extraordinaire – accident de la route, attentat, situation de danger de mort, scène de grande violence – avec ou sans atteinte à l’intégrité physique.
Les individus souffrant de TSPT peuvent être tout autant des personnes qui ont participé à des combats militaires, été victimes d’une agression physique ou sexuelle, d’une catastrophe naturelle, ou d’une prise d’otage, que des professionnels qui sont intervenus sur des terrains de catastrophes, des parents qui ont perdu un enfant ou encore des témoins d’un accident, d’un attentat ou d’une catastrophe naturelle. Toutes ont pour point commun d’avoir vécu cet évènement comme un facteur de stress intense ou d’effroi, face auxquels ils se sont sentis impuissants.
Or, Face à un même évènement traumatique, les différentes personnes ont des réactions différentes. Ainsi, le risque de développer de TSPT dépend de deux facteurs : les éléments préexistants propres aux personnes exposées au traumatisme et le contexte dans lequel les suites de l’évènement se déroulent, notamment pendant les six heures qui suivent. Et, si nous ne pouvons rien concernant le passé et la psyché de la personne touchée, une prise en charge rapide et efficace peut diminuer de façon spectaculaire les effets post-traumatiques et même éviter complétement le développement des TSPT.
La prévalence des personnes souffrantes des TSPT est estimée à 5 à 12% de la population générale. Elle est évidemment beaucoup plus importante dans certaines populations comme les militaires, les policiers ou les premiers intervenants.
Quant aux témoins – directs ou indirects – d’actes terroristes, plusieurs enquêtes menées après les attentats de janvier 2015 (Charlie Hebdo, Hyper Casher, Montrouge et imprimerie de Dammartin-en-Goële) ont démontré que six à 18 mois après les faits, 18% des témoins présentaient des TSPT. Chez les intervenants (force de l’ordre et soignants), ces troubles concernaient 3%. Une enquête similaire menée après les attentats de novembre 2015 a montré une prévalence beaucoup plus importante des TSPT : plus d’une personne sur deux (54%) directement menacées et presque autant chez les personnes ayant perdu un proche. En France, la principale cause des TSPT sont les accidents sur la voie publique. Ce phénomène est donc très fréquent et risque de provoquer chez des nombreuses personnes des importantes incapacités sociale, professionnelle et personnelle de très longue durée.
Une méthode israélienne appliquée dans les armées américaine et allemande
Comment savoir si on est touché par cette maladie invisible ? Avoir vécu comme victime ou témoin un évènement soudain, violent et imprévisible avec confrontation réelle ou imaginée à la mort. Développer ensuite, des symptômes de stress aigu (réactions intenses, désagréables et très perturbantes) au-delà d’un mois après l’évènement. Il est vrai, certes, que chez certaines personnes les symptômes s’installent progressivement au bout de quelques jours et parfois plus tardivement encore, mais dans la plupart de cas les TSPT se manifestent immédiatement. Or, il est avéré que, comme dans le cas d’un traumatisme physique (blessures par arme à feu ou arme blanche, brûlures etc.), une intervention rapide peut arrêter le glissement de la personne traumatisée vers une situation de TSPT.
Forte d’une longue expérience de gestion de situation de traumatisme violent (champ de bataille, attentats et accidents), un officier en santé mentale israélien a développé, il y a plus de dix ans, un protocole de « gestes qui sauvent » à appliquer pendant les premières minutes suivant immédiatement l’évènement traumatique. Né au sein de l’armée, cette méthode est appliquée au sein de la US Army et de la Bundeswehr. C’est aujourd’hui le protocole national appliqué en Israël par tous les intervenants (Santé et Intérieur) dans des cas de traumatisme. Ces gestes sont même appris dès l’âge de sept ans, dans l’Éducation nationale.
Ce protocole, exactement comme les gestes qui sauvent (PSC1) est relativement simple et permet à toute personne formée – quel que soit son métier et niveau d’études – d’identifier le cas nécessitant intervention et les traiter immédiatement. Les « 6C »(©) présentent donc une véritable révolution. La logique derrière ce protocole est fondée sur les plus récentes études du cerveau humain, la neuropsychologie du stress. Le traumatisme crée chez certaines personnes une situation de trop plein sensoriel et émotionnel et elle ne peut tout simplement plus gérer la situation. Cet état de dysfonctionnement, comme si elle avait « bugué », la rend impuissante et inefficiente.
Habituellement, face à cet état, on rassure, on enlace, on propose de s’assoir, on pose une couverture, on offre une bouteille d’eau. Toutes ces gestes sont non seulement inefficaces, mais aggravent l’état de la victime. Contrairement à notre mouvement naturel, « notre bon sens » ou notre empathie spontanée, il faut éviter tout langage/posture émotionnel et, au contraire, bousculer la personne touchée et la tirer de la passivité à l’action. On lui permet ainsi de quitter la posture passive, régressive et victimaire, pour reprendre en quelques minutes seulement un certain contrôle de soi et de la situation et retrouver un sentiment d’efficacité et d’utilité. C’est la clé d’une certaine résilience fondée sur l’autonomie.
Ne pas laisser la peur s’installer
Que faut-il faire ? D’abord, se former au 6C, comme on se forme au PSC1 pour que toute personne soit en mesure d’arrêter l’hémorragie émotionnelle en situation d’urgence. Le protocole permet d’obtenir ce résultat par le suivi d’un processus à six composants / six étapes : Commitment (engagement), Cognition, Challenge, Contrôle, Continuité, Communication. Dans l’ordre, l’intervenant établit un contact physique avec la victime, fait appel à son raisonnement, lui pose des questions simples (nom, adresse, etc.), lui explique rapidement et clairement ce qui se passe et ce qui va se passer, et lui donne des instructions d’actions (va chercher quelque chose, aide quelqu’un etc.).
Se former au 6C, c’est maitriser la pratique des six actions cognitives qui permettent de reconnecter une victime ou des témoins, de les rendre actifs et de leur permettre d’être de nouveau fonctionnels-opérationnels et enfin… aidants, membres actifs et utiles de l’équipe qui gère la réponse. Mieux encore, la personne devient un chainon important dans le mécanisme de résilience du reste du groupe.
Ceux qui font l’équitation le savent : il faut toujours remonter à cheval après être tombé pour ne pas laisser la peur s’installer. Les pilotes de chasse forcés d’abandonner l’avion à cause d’une avarie technique suivent eux aussi la même logique : effectuer un vol aussitôt que possible et « couvrir » la mauvaise expérience par une bonne, avant que le premier vol post-accident ne devienne un évènement trop redouté. L’intuition derrière le 6C a donc toujours été là… et maintenant, avec ce protocole très simple, la technique est à la portée de tous avec à la clé un « bonus » énorme : éviter aux personnes touchées et à leurs familles de longues années de souffrances.
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