Le troll, cet inconnu


Le troll, cet inconnu
Photo : wikipedia. Hesse1309;
troll sarkozy royal
Photo : wikipedia. Hesse1309;

Discréditer une femme

L’exemple est venu d’en haut. Rappelez-vous le face-à-face de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 2007 entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Souvenez-vous de ce passage sur l’inclusion des enfants handicapés à l’école, au cours duquel M. Sarkozy reprochait à Mme Royal de s’énerver et lui enjoignait de garder ses nerfs. Pourtant, aucun changement dans le volume de la voix ou dans l’attitude de Mme Royal ne permettait de déceler le moindre énervement. Mais le vilain tour a fait mouche. Comment se défendre et prouver que l’on n’est pas énervée ? L’accusation de ne pas maîtriser ses nerfs est un ressort classique quand un homme débat avec une femme, tributaire de l’instabilité hormonale, ayant perpétuellement ses règles, n’ayant pour tenir la plume que ses ovaires capricieux. Deux hommes, à vingt-quatre heures d’intervalle, m’ont récemment gratifiée de telles formules d’une condescendance crasse : « Pourquoi vous emportez-vous Madame ? », « Il faut vous détendre. » Outre que je m’étonne des capacités extralucides de ces messieurs, comment puis-je répondre ? Un smiley débordant de joie d’amour ou de joie suffirait-il ?

Quand un islamiste veut discréditer un homme blanc…

C’est mon ami Marc Cohen qui me l’a confié. Assistant à différentes réunions tenues par des religieux parlant de politique, il s’est vu reprocher et ramener à son alcoolisme supposé quand il voulait poser une question ou soulever un problème : « Vous avez bu, Monsieur ! » On pourrait croire en voyant Marc qu’il est un ivrogne patenté, la vérité est qu’il ne boit pratiquement pas. Son défaut d’élocution et d’articulation pourrait être corrigé avec quelques séances chez l’orthophoniste. Comment prouver que l’on n’est pas saoul ? En se promenant avec des éthylotests ? On est dans le procès d’intention, avec inversion de la charge de la preuve, certainement pas dans le débat.  Un homme blanc est forcément un ivrogne aux mœurs douteuses, à moins de s’être converti à l’islam. Plutôt que de discuter d’égal à égal, on discrédite la parole du contradicteur en lui opposant la supériorité de la vertu religieuse sur le vice.  Une variante est fournie par l’injonction au silence de la désormais célèbre Wiam Berhouma face à Alain Finkielkraut. Son argument : vous n’êtes pas des nôtres, vous ne pouvez parlez de nous, alors taisez-vous…

Du conflit israélo-palestinien

Ce sujet abolit la subtilité, le débat. Je ne peux m’exprimer sur ce sujet en raison de mon patronyme, de mon épiderme, dont on déduit mon allégeance et mon prétendu parti pris. Et pourtant, je n’ai qu’une allégeance, et elle est envers la France. Mes contradicteurs peuvent-ils en dire autant ? Je ne le crois pas. Mais je ne peux pas émettre la moindre critique sans être renvoyée à mes origines qui font de moi une pro-palestinenne voire pis, une pro-Hamas. Pourtant, je ne suis pas dans une loyauté empathique liée à l’arabité ou à l’islam. Mais cette singularité, cette qualité de sujet autonome dans sa pensée m’est d’office refusée. Ce ne sont plus mes ovaires qui tiennent la plume, c’est mon épiderme.

Procès en incompétence

Combien de fois avez-vous entendu opposer à vos propos ce définitif : « Quand on n’y connaît rien, on évite de la ramener ! » et ses variantes, à coups de majuscules et de points d’exclamation ? Les réseaux sociaux sont les espaces de toutes les expertises et de tous les procès en incompétence. Votre contradicteur, bien sûr dans l’expertise, et vous renvoie à votre incompétence. Il a recours à une sorte d’argument d’autorité, mais sans l’argument, seulement avec l’argument d’autorité qui impose le silence, à coups d’anecdotes personnelles et de liens hypertexte. On parle à propos de certains d’entre eux de trolls, en argot du net, un internaute n’intervenant que pour pourrir le débat et l’avilir en polémique.

Alors, face à ces tueurs de débat, comment réagir ? Ignorer et bloquer, en risquant de rester dans l’entre soi? Combattre et essayer de persuader, alors que le contradicteur est dans la foi idéologique et se présente à vous comme un  missionnaire armé ? Je vous propose la déférence : « Moi, quand je suis en présence d’un con, d’un vrai, c’est l’émotion et le respect parce qu’enfin on tient une explication et on sait pourquoi. Chuck dit que si je suis tellement ému devant la connerie, c’est parce que je suis saisi par le sentiment référentiel de sacré et d’infini. » Il s’agit pour nous d’assister ces culs-de-sac de la pensée, pour ne pas nous rendre « coupables de non-assistance aux personnes dans leurs opinions ».[1. Extraits de L’angoisse du roi Salomon, d’Emile Ajar (Romain Gary).]



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est secrétaire nationale du Mouvement républicain et citoyen.

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