Tristan et Isolde de Richard Wagner à l’Opéra Bastille, du 17 janvier au 4 février 2023
Tristan et Isolde, parenthèse inouïe dans la vie créatrice du futur margrave de Bayreuth ! Mettant irrésistiblement de côté la composition de longue haleine de son Ring, Wagner en écrivit livret et partition de 1854 à 1857, entre Venise, Lucerne et son « asile » zurichois, transporté par sa passion secrète pour Mathilde Wesendonck, l’épouse de son richissime bienfaiteur. Le fameux prélude ne sera pas joué avant 1860, à Paris, le scandale de Tannhäuser y interdisant la création de l’œuvre intégrale. Et il faudra attendre l’intercession miraculeuse de Louis II de Bavière pour que ce poème lyrique opulent et somptueux, décidément poursuivi par la fatalité, soit exécuté, enfin, au Théâtre royal de la cour de Bavière, sous la direction de Hans von Bülow, en juin 1865, dans des conditions d’ailleurs assez burlesques. Mais passons.
Mary Elisabeth Williams en Isolde, ça ne va pas trop
« Tristan… », comme les mordus affectionnent de couper le titre, n’a jamais cessé d’inspirer transpositions et extrapolations les plus folles. On se souvient que le génial cinéaste Lars Von Trier transfigurait son chef-d’œuvre absolu, Melancholia (2011), en enveloppant l’image dans le manteau ondoyant, extatique et capiteux de l’inoubliable prélude, qui s’étire sur une quinzaine de minutes. Et que dire de Patrice Chéreau, dont la régie milanaise, en 2007, sur un fabuleux décor de Richard Peduzzi, en reste une des versions les plus sensationnelles. Il est des scénographies plus controversées: telle celle signée par le réalisateur australien Simon Stone en 2011 à Aix-en-Provence, avec une Isolde empruntant la physionomie d’une patronne de start-up, un Tristan hors d’âge, et le jardin du château fort, toile de fond du 3ème acte selon le livret, reconstitué sous les espèces d’un trajet sur la ligne 11 du métro parisien, de la station Châtelet au terminus de la Porte des Lilas.
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Toujours est-il que l’Opéra-Bastille ouvre cette année 2023 avec la reprise d’une mise en scène trempée dans la mythologie des représentations d’art lyrique: celle de Peters Sellars, millésimée 2005. L’Américain (aujourd’hui âgé de 66 ans) fit en effet sensation alors, avec cette production minimaliste où la vidéo, signée de son compatriote Bill Viola (né en 1951), contrepoint d’une spatialisation graphique épurée (plateau intégralement de couleur noire, costumes idem), vient redoubler, sur écran géant et selon des formats variés, la figure du couple de légende : cérémonial filmé au ralenti et en continu, qui prend la forme d’une sorte de rituel amniotique, subaquatique et paysager, par moments d’une prodigieuse beauté plastique, en particulier au dernier acte.
On se souvient que cette production (d’abord sous la direction d’Esa-Pekka Salonen puis du maestro russe Valery Gergiev) fut alors portée à des sommets par la grâce conjuguée de l’immense mezzo- soprano Waltraud Meier dans le rôle d’Isolde, et du ténor Ben Hepner dans celui de Tristan. Reprise en 2008 à la Bastille, toujours avec la légendaire Waltraut Meier (et, cette fois, Semyon Bychkov à la baguette), puis une nouvelle fois en 2018, la voilà donc qui nous revient encore: intacte et, disons-le, sans rides, tout au moins au plan visuel.
Il n’en va pas de même, hélas, quant à la distribution. Essentiellement par la faute de la soprano noire d’origine étasunienne Mary Elisabeth Williams qui, pour ses débuts à l’Opéra de Paris, n’est pas du tout à son affaire dans le rôle d’Isolde : aigus stridulants, voix éraillée, graves sans profondeur, articulation sommaire, gestuelle emprunte d’une théâtralité maladroite. Face à elle, le ténor suédois Michael Weinius campe un Tristan vocalement acceptable, en dépit d’un embonpoint mal accordé au personnage.
Captivant Eric Owens
Le spectacle est sauvé, si l’on peut dire, par l’excellent baryton-basse Eric Owens en roi Marke, dont en particulier la longue et splendide confession, au troisième acte, captive le spectateur, lorsque son chant, d’une amplitude remarquable, se fait l’aveu de son amour sacrificiel pour Tristan…
Neufs également à l’Opéra de Paris, la mezzo-soprano allemande Okka von der Damerau excelle dans le rôle de Brangäne, tout comme Kurneval sous les traits du baryton-basse Ryan Speedo Green, et le ténor anglais Neal Cooper, qui incarne Melot.
Reste la musique, sublime, magnifiée par la direction d’orchestre subtilement acérée du grand Gustavo Dudamel, au pupitre de l’Orchestre National de Paris, à son meilleur au soir de la première…
Tristan et Isolde. Opéra en trois actes de Richard Wagner (1865). Opéra Bastille. Direction : Gustavo Dudamel. Orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris. Mise en scène : Peter Sellars. Création vidéo : Bill Viola. Avec Mry Elisabteh Willians (Isolde), Gwyn Hughes Jonas (Tristan). Les 20, 23, 26 janvier, 1 et 4 février à 18h. Le 29 janvier à 14h. Durée du spectacle : 5 heures.
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