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Arrêter de travailler, c’est trop dur

Le salaire du labeur


Arrêter de travailler, c’est trop dur
John Slattery dans la série tv "Mad Men" © SIPANY/SIPA Numéro de reportage: SIPAUSA30128171_000126

 


« La retraite, faut la prendre jeune » disait Michel Audiard. On dit souvent que « partir c’est mourir un peu ». Dans sa grande sagesse, Alphonse Allais a précisé aussi que «mourir, c’est partir beaucoup ». 


La langue française, les grands auteurs et l’imagerie populaire regorgent de bons mots et de citations pour commenter et justifier les départs, la mort et même l’illusion d’irremplaçabilité. On peut douter de la véracité de certains adages. En gardant deux certitudes dans la vie, comme Woody Allen : les impôts et la mort. Depuis peu, j’en ai presque une troisième. J’ai bien peur aussi « qu’un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». La personne avec laquelle je partageais mon bureau n’est pourtant pas morte. Elle est simplement partie à la retraite. Mais depuis qu’elle a quitté son poste, c’est comme si j’étais en deuil. Elle a fait ses paquets il y a peu. Rangeant soigneusement ses tiroirs. Ses petites boîtes où elle gardait les rubans d’emballage et les cartes de vœux des années passées. Enterrant ses dossiers en cours,  ses activités passées. Fermant sa boîte à pharmacie et ses placards à fournitures. Et puis, elle s’en est allée. Après 20 ans de maison. 40 ans de labeur. Saluée comme il se doit par ses collègues et la DG bien sûr. Mais elle n’est plus là ce lundi. Et ça, c’est vraiment triste.

Indice énergétique 

Trop souvent, on juge l’efficacité des collaborateurs à l’aune de leurs capacités de rendement. Collant sur leur dos des étiquettes multicolores semblables à celles qui enluminent les réfrigérateurs dans les magasins d’électroménager. Indice de consommation? Orange! Performance énergétique? Rouge! Niveau de bruit? Vert!  Ma codétenue, n’a que très rarement amélioré le chiffre d’affaire de la maison – même si certains clients, égarés par le standard sur son poste, se souviendront longtemps de son accueil et de son dévouement appliqué – elle était pourtant, sans doute, une des plus belles richesses locale.

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Une valeur bien plus estimable qu’un contrat ou un coup de tampon « payé» sur une facture à six zéros. Le prix de mon amie, c’était sa gentillesse. Son rendement ? Son empathie, sa capacité d’écoute, son talent pour cimenter les collaborateurs entre eux. Son rire, son entrain, sa folie même, son respect de l’autre. Son sens de l’organisation bien sûr. Et par-dessus tout son envie, mais aussi son égard pour son employeur. Autant de détails qui, en ces temps jaunis par le trouble, passent finalement bien au-dessus de la tête de la gestion moderne. Ensuquée qu’elle est, très légitimement, par le profit et l’efficacité.

Le management moderne laboure l’humain

Des détails qui, selon moi, devraient avoir autant de valeur que certaines «bottom line » ou autres bilans. On ne fait évidemment pas de business avec de bons sentiments. On ne crée pas non plus de richesse ou de rendement avec des mots doux. Mais ces derniers, pourtant, peuvent largement contribuer à donner du sens à une entreprise. Le management moderne est souvent broyant. Il laboure l’humain sur son passage au nom du profit. Quitte à lui ouvrir les entrailles. Ma collaboratrice était bien plus qu’une collègue.

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C’était un point d’ancrage. Un fil d’Ariane social qui établissait la jonction entre le bas et le haut de l’échelle. Comme ces filets de cordes que l’on place sur la coque des navires pour permettre aux naufragés de monter à bord. Elle a toujours fait le joint entre la base et le sommet. Les petits et les grands. Sans se départir jamais de la noblesse de cœur qui caractérise ces femmes qui savent si bien se mélanger, s’adapter même, sans jamais oublier leur classe naturelle, ni leurs origines. Avec sa bonté, sa belle âme, son courage.

Bien sûr, rien n’arrête l’inertie du paquebot d’une belle entreprise. Certainement pas les ambiances, l’amitié, ni encore moins l’empathie ou l’amour de l’autre. Mais au bout des réussites, quelle qu’elles soient, c’est toujours le souvenir de tous ces infinis détails qui perdure. Celui de l’amitié et des bons moments. Après tout. Quoi qu’il advienne. On ne devrait jamais quitter Montauban.

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Francois Tauriac est journaliste et éditeur

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