« L’égalité, c’est l’âme de la France » tonne Jean-Marc Ayrault face aux jeunes socialistes massés à La Rochelle. Dans le domaine sociétal, « l’égalité réelle » prime sur tout autre considération. Au nom de ce slogan galvanisant, François Hollande s’est engagé à mettre en pièces l’ensemble des « discriminations » qui mineraient notre « pacte républicain », à commencer par l’injustice pluriséculaire réservant le mariage et la parentalité aux seuls hétérosexuels. Conformément à la promesse n°31 du candidat Hollande, Jean-Marc Ayrault a annoncé, fin août, qu’un texte serait soumis au Parlement début 2013.
Concernant la famille, le PS rase gratis, et tout de suite. Ainsi, à La Rochelle[1. Toutes les citations non référencées proviennent de l’atelier sur « La famille en 2012 », animé par Dominique Bertinotti à La Rochelle, le 25 août 2012, lors de l’université d’été du PS.], Dominique Bertinotti, qui se revendique ministre « de TOUTES les familles »[access capability= »lire_inedits »], a-t-elle célébré la « valeur famille », arguant que les sondages traduisaient une confiance massive des Français dans cette institution. Tout en jurant sur ses grands dieux laïques que les utopies soixantehuitardes antifamiliales ont fait long feu, Mme Bertinotti entend faire un sort au bon vieux modèle du couple hétérosexuel. Soucieuse de « replacer l’enfant au coeur de la politique familiale », elle refuse de privilégier un modèle familial au détriment d’un autre et balaie d’un revers de la main les plaidoiries en faveur de la stabilité de la parenté hétérosexuelle. Après tout, un mariage sur trois, voire un sur deux dans les grandes villes, ne se solde-t-il pas par un divorce ? Mme Bertinotti entend donc résorber les « incohérences » du Code civil et sanctifier par la loi l’ouverture du mariage, de l’adoption et de la procréation médicalement assistée aux couples homosexuels[2. Contrairement aux souhaits de la ministre de la Famille, les récentes annonces de la Garde des Sceaux Mme Taubira ne mentionnent pas la légalisation du recours à la PMA dans le projet de loi sur l’homoparentalité et l’ouverture du mariage.], non sans reconnaître le statut du beau-parent.
Le point de vue qui domine les débats à gauche est que la loi doit suivre l’évolution de la société. Il est notamment défendu par Irène Théry, sociologue et directrice d’études à l’EHESS, et Martine Gross, chercheuse au CNRS et ancienne présidente de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens. Cette dernière souhaite porter un coup fatal au « modèle naturaliste de la filiation ». Selon elle, les actes d’état-civil constitueraient de sérieux vecteurs de discrimination puisqu’ils consacrent le « fait biologique » (être né de tel et tel parent) en « fait institué » (être enfant de), lequel ne dépend pas d’un rapport sexuel mais d’une reconnaissance légale. Le salut passerait donc par une disjonction radicale entre filiation et procréation, de manière à détacher le mariage de la capacité procréative des contractants − qu’on le veuille ou non, rien ne discrimine plus que la Nature, puisque deux hommes ou deux femmes ne peuvent engendrer d’enfants !
Dans le même esprit, Irène Théry nous invite à « prendre acte que l’apparition de l’homoparentalité participe de la transformation générale de l’idée même de famille »[3. Actes des « Rencontres nationales sur l’adoption et l’homoparentalité », organisées par le Conseil général de l’Essonne le 6 avril 2012. Nous adressons nos remerciements à Sharon Elbaz et Jérôme Guedj pour la retranscription écrite.]. Naguère, le « modèle matrimonial traditionnel » définissait la norme exclusive de l’institution familiale, au détriment des formes alternatives de couples, exclues comme des déviances ou des comportements marginaux. Or, en vertu d’un vaste « mouvement de diversification » des formules amoureuses, le mariage n’est plus la condition sine qua non de la procréation : un nombre croissant d’enfants naissent hors de la famille nucléaire, et les foyers recomposés ou monoparentaux traversent les frontières entre hétéro et homosexualité. Gross et Théry postulent donc que l’ordre social doit inspirer l’ordre juridique. Un philosophe du droit dirait que le devoir être se déduit de l’être.
En définitive, le coeur de la ministre balance entre deux ordres de justification : une définition collective de la justice, version Théry et Gross, et la satisfaction des désirs individuels. Certaines diatribes enflammées entendues à La Rochelle laissent penser qu’il existe un droit à l’enfant indissociable des autres droits de l’homme. Cette position a notamment été exprimée par la juriste et militante queer Marcela Iacub dans Le Crime était presque sexuel[4. Champs Flammarion, 2003.] Cette libérale-libertaire pur sucre voudrait détacher la loi de tout ordre symbolique s’imposant aux individus. Dans une optique foncièrement individualiste, Iacub refuse de soumettre la réforme du droit à l’évolution des normes morales. Seul le sujet de droit, incarnation juridique de l’individu-roi, importe à ses yeux. Qu’il s’agisse du mariage ou de la parentalité, nos désirs ne devraient rencontrer aucun obstacle anthropologique.
En poussant cette logique un chouïa plus loin, on pourrait justifier les mariages multiples, instaurer de nouvelles formes de polygamie, voire légaliser des comportements sexuels interdits sur la seule base du consentement des individus, indépendamment de leurs orientations sexuelles. Après tout, si plusieurs sujets de droit font le choix libre et éclairé de s’unir les uns avec les autres, pourquoi ne pas consacrer juridiquement les mariages à trois, quatre ou même des smalas de plusieurs dizaines de personnes ? Plus
on est de fous, plus on rit…
Évidemment, les socialistes ne vont pas aussi loin. Leur credo homoparental s’inspire moins explicitement des arguments contractualistes de Iacub que des conceptions normatives de Gross et Théry. Mais pour être anthropologiquement opposés − les unes font valoir une certaine vision de la vie collective axée sur l’égalité, l’autre une liberté de choix individuelle quasi absolue − ces deux systèmes se révèlent moins étanches qu’il n’y paraît. Dans le meilleur des mondes égalitaires que le PS appelle de ses vœux, l’explosion des libertés individuelles pourrait donner droit de cité à tous les comportements n’empiétant pas directement sur la liberté des autres. En ouvrant la boîte de Pandore du mariage et de la parentalité pour tous, M. Hollande et M. Ayrault se frottent aux limites du libéralisme. On leur souhaite bien du courage.[/access]
*Photo : Shoko Muraguchi
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