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Fini les cachotteries !


Fini les cachotteries !

Eugene-ZamiatineCes derniers mois, la transparence est la grande affaire de la France. Les élus déclarent leur patrimoine et les journaux publient des listes qui ressemblent à des proscriptions. Même le « mariage pour tous », quoi qu’en pensent ses partisans comme ses opposants, répond à cette exigence de transparence. Les homosexuels mariés veulent être vus : ils veulent en finir avec l’opacité et la marge. On peut les comprendre. Mais cela crée un climat étrange, dans lequel tout est surexposé au nom de la pureté des intentions. C’est l’enfer de la gentillesse, l’intrusion bienveillante et permanente dans l’intimité, à l’image de la convivialité obligatoire dans les zones pavillonnaires rurbanisées de la classe moyenne. Un enfer climatisé et translucide anticipé par Eugène Zamiatine dans Nous autres, publié en 1923.

Zamiatine est le moins connu des trois grands prophètes de malheur du XXe siècle. Il est resté dans l’ombre d’Orwell et de Huxley. Tous ont été rattrapés par le réel. La lecture de 1984 a, depuis longtemps, dépassé la dénonciation du stalinisme et s’applique merveilleusement à nos sociétés occidentales : réécriture permanente du passé, « Semaine de la Haine » désignant les monstres du moment à la vindicte universelle, ou encore surveillance panoptique de nos rues et de nos ordinateurs. Le Meilleur des mondes de Huxley érige l’eugénisme en méthode de gouvernement.[access capability= »lire_inedits »] Nous y sommes aussi, ou presque : on s’amuse à faire à peu près n’importe quoi avec le vivant, on congèle des embryons pour d’éventuelles manipulations et des ventres sont loués par des mères porteuses, en attendant que les fœtus se développent dans des utérus artificiels.

Zamiatine décrit une société fondée sur l’harmonie mathématique − on dirait aujourd’hui informatique − d’une fourmilière. Chaque citoyen est désigné par un numéro – le narrateur, par exemple, s’appelle « D-503 ».Mais la fourmilière est transparente. C’est la grande intuition de Nous autres. Le terme n’est pas à prendre de manière métaphorique. Les citoyens vivent vraiment dans les « divins parallélépipèdes des habitations transparentes » d’où ils se voient les uns les autres.

Le système a tout de même prévu deux « Heures personnelles ». Vous pouvez vous promener à votre guise. Ou vous cacher pour faire l’amour : « À ces heures, certains ont baissé sagement les rideaux de leurs chambres. » Mais D-503, comme tous ses concitoyens, espère tôt ou tard en finir avec cet archaïsme des « Heures personnelles ». Pourquoi ai-je la fâcheuse impression que nous autres, ces jours-ci, nous devenons tous des D-503 ?[/access]

*Photo: Playtime, de Jacque Tati

Eté 2013 #4

Article extrait du Magazine Causeur



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