Ce fut donc le jour J, la semaine dernière, pour la publication des patrimoines des ministres au nom de la transparence. On sait que la loi pourrait bientôt s’appliquer aux parlementaires et aux hauts fonctionnaires. Cette mesure est censée, on l’a entendu, réconcilier les citoyens et la politique. Mais elle provoque en fait plus d’aigreur que d’enthousiasme, y compris dans les rangs du gouvernement. Est-ce que l’on va trop loin ? Est-ce qu’il faut au contraire, aller plus loin encore ? Quels effets cela aura-t-il sur les électeurs ?
Quel malaise parmi les ministres qui se sont exprimés depuis quelques semaines ! Quelle difficulté à dire, dans ce pays, combien on gagne ! On touche aux rapports complexés des Français avec l’argent. Soyons honnêtes et reconnaissons que nous avons tous épluché les déclarations de patrimoine de nos ministres. Ainsi, du plus riche, Fabius (plus de 6 millions d’euros) à la plus pauvre, Najat Vallaud-Belkacem (moins de 100 000 euros). Et ce qui était prévisible est arrivé. On s’indigne du fait qu’ils sont huit à dépasser le million d’euros et en plus, on ne croit pas un mot de ceux qui n’auraient presque rien. Nous sommes dans le pays de l’égalité : chacun se compare. Naturellement, on se demande, si l’on peut être (ou du moins se prétendre) socialiste et rouler sur l’or. Tout comme Fabius, est-ce que Michel Sapin (2,15 millions d’euros) ou Marisol Touraine (1 million d’euros) sans parler de Jean-Marc Ayrault lui-même (1,5 millions d’euros) sont capables de comprendre le drame des 9 millions de Français survivant sous le seuil de pauvreté (14,5 % de la population), à 820 euros par mois ? D’ailleurs, la question se pose aussi pour François Hollande qui lors de son entrée à l’Elysée avait déclaré 1,17 million d’euros de patrimoine.
Ainsi, on voit bien que pour certains ministres, la situation pourrait devenir compliquée, notamment pour ceux assujettis à l’ISF qui engageront des réformes difficiles dans les prochains mois. Il est vrai que notre ministre des affaires sociales Marisol Tourain va bientôt devoir réduire les allocations familiales. Cela risque d’être compliquée pour elle. Cette liste fut d’ailleurs publiée avec retard. Comme un signe du malaise régnant, mais aussi d’une sorte de crise gouvernementale larvée. Le désordre au sein du gouvernement continue. La gauche est mal à l’aise. Elle s’était posée en s’opposant aux turpitudes du pouvoir sarkozyste en place. C’est aussi là-dessus que la gauche gagne, en fustigeant les riches, en s’attaquant à la finance. Alors être ainsi touché au coeur – je n’aime pas les riches, etc. – de ce qui a fait votre victoire, sinon votre identité, c’est douloureux.
Par ailleurs, si tout le monde sait que Fabius, Michèle Delaunay et Marisol Touraine ont hérité d’une jolie fortune, certains mauvais esprits se demanderont, sans doute, comment un modeste professeur d’allemand, marié à une modeste enseignante et n’ayant pas hérité de ses parents peut être aujourd’hui, avec son épouse, à la tête d’un patrimoine d’un million et demi d’euros, même s’il a été longtemps député-maire de Nantes… Mais il n’y a pas que les riches à poser question. Si on comprendre que Benoît Hamon, Cécile Duflot, Delphine Batho ou encore Najat Vallaud-Belkacem soient « sans le sou », on est tout de même en droit de s’étonner que Pierre Moscovici, énarque et ancien président de la Cour des Comptes, n’ait, à 55 ans, que son modeste appartement de Montbéliard, ne valant que… 200 000 euros. Soit il le sous-estime ou nous cache d’autres choses, soit il n’est sûrement pas le plus apte à diriger l’économie et les finances de notre pays. La gauche est prise à son propre piège dans cette affaire. Elle a toujours compté des grands bourgeois dans ses rangs. Ça ne posait pas de difficultés, à partir du moment où leur action politique était approuvée, mais dans un contexte de crise économique, de contestation de l’autorité du président de la République, de doute sur l’efficacité du gouvernement, c’est tout cela qui est mis dans la marmite. Les Français vont ainsi s’indigner que certains ministres soient millionnaires et considérer que ceux qui voudraient faire pitié comme des incapables, si ce n’est de gros menteurs.
Tout cela ne sera pas suffisant, car le doute est trop fortement installé. Ce doute est antérieur à l’affaire Cahuzac et à la riposte gouvernementale. Le dévissage de popularité des deux têtes de l’exécutif a commencé dès août 2012, sur le terrain des mauvais résultats sur le plan économique et social, ce qui s’est poursuivi sur le terrain d’une appréciation mitigée du style de l’exercice de la fonction présidentielle, puis sur ce désordre gouvernemental, et là c’est le coup de grâce. C’est maintenant le doute moral. La riposte gouvernementale ne saurait inverser le mouvement. Le ver est dans le fruit, pour recréer un lien de confiance, il en faudrait beaucoup plus. En attendant, le gouvernement fait rire le monde entier avec cette bien tardive course à la moralisation…
*Photo : Webstern Socialiste.
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