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Transparence et inéligibilité à gogo: faut-il un casier vierge pour gouverner?

Moralisation XXL de la vie politique : et si on se calmait ? Le regard d'Elisabeth Lévy


Transparence et inéligibilité à gogo: faut-il un casier vierge pour gouverner?
Le président de la Republique François Hollande, Michel Sapin, ministre du Travail et Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, Palais de l'Elysée, Paris, 4 janvier 2013 © BERNARD BISSON/JDD/SIPA

Elisabeth Lévy se demande avec Gérard Larcher si nous avons été trop loin dans l’exigence de moralisation de la vie politique…


Avons-nous été un peu trop loin dans l’exigence de moralisation de la vie politique? Poser la question, c’est déjà y répondre. Interrogé par Le Figaro sur le jugement de Marine Le Pen, qui suscite de nombreux troubles dans la classe politique, le président du Sénat, Gérard Larcher, prend mille précautions. Les décisions de justice ? Bien sûr, il les respecte, c’est essentiel… Mais il finit par lâcher le morceau: le tribunal applique la loi, oui, mais peut-être que la loi est mal faite1.

Une multiplication par 20 des peines d’inéligibilité !

Dans son viseur : la loi Sapin II de 2016 (même si elle n’était pas applicable en l’espèce, les faits reprochés à Marine Le Pen et au FN étant antérieurs). En 2018, on comptait 440 peines d’inéligibilité, contre 8 857 en 2022 ! Incroyable. Le juge devient le pré-arbitre électoral, puisqu’il décide de qui peut briguer les suffrages des Français. Personnellement, je serais favorable à la suppression de toutes les peines d’inéligibilité en correctionnelle. Si les Français veulent élire un délinquant, c’est leur droit. En revanche, on ne va pas laisser se présenter quelqu’un condamné aux assises pour un crime de sang. J’estime que c’est aux électeurs de décider du niveau de morale ou de probité qu’ils exigent de leurs représentants. S’ils veulent élire quelqu’un qui a été un peu margoulin, c’est quand même leur droit.

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Certes, toutes ces peines d’inéligibilité sont l’œuvre du législateur. Ce sont les élus (et on l’a suffisamment rappelé pour Marine Le Pen) qui ont voulu ces lois. Des lois d’émotion, selon Larcher, adoptées dans la foulée de l’affaire Cahuzac. Il fallait alors calmer l’opinion, montrer qu’on lavait plus blanc que blanc. Souvenez-vous des grands airs indignés de François Hollande en conférence de presse : pourtant, entre Cahuzac et Landru, il y a quand même une différence… Nous avons ensuite assisté à la création de la HATVP, une institution carrément robespierriste. À chaque élection, les élus doivent désormais se mettre à nu, révéler tout de leur patrimoine. Il n’y a rien de mieux pour nourrir les passions tristes (Ce salaud possède un deux-pièces à Trouville et pas moi, c’est dégoûtant !) et décourager les meilleurs d’entrer en politique (Tout de même, avoir les juges et les journalistes aux fesses, ça fait beaucoup).

Donc, peu importe que les élus piquent dans la caisse ?

Évidemment pas.

Des distinctions sont nécessaires. Avoir un compte en Suisse, même quand on est ministre des Comptes publics, demeure moins grave que tuer sa grand-mère. Et faire bosser son assistant pour son parti, c’est moins grave qu’un compte en Suisse. Comme dans les affaires de violences sexuelles, il faut savoir hiérarchiser : une blague leste, ce n’est pas un viol. Concernant les élus, la grande différence du point de vue de la morale, c’est l’enrichissement personnel. En matière de détournement, ce n’est évidemment pas bien d’enrichir son parti, mais c’est moins grave qu’un enrichissement personnel.

Il y a toujours, dans la transparence, quelque chose de totalitaire. Or, personne n’a l’obligation de toujours se montrer tel qu’il est à ses contemporains. Il est curieux d’exiger à la fois transparence et proximité. On voudrait les meilleurs aux responsabilités, mais aussi des types comme nous. C’est paradoxal : soit ils sont comme nous – faillibles, humains, menteurs –, soit ils sont effectivement les meilleurs. Il faudrait savoir !

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Montesquieu disait (en substance) que, même en matière de vertu, il faut de la modération. Sous Pompidou, les gens se fichaient bien des affaires. Quelques décennies après, on a vu les excès de la vertu (Les dieux ont toujours soif). Aujourd’hui, notre exigence de morale semble indexée sur l’efficacité : si vous êtes nuls, au moins soyez propres.

Personne ne veut être gouverné par des margoulins. Mais pas non plus par des êtres parfaits. La politique doit rester une affaire humaine. Ou alors, confions les clés à ChatGPT, qui ne fait jamais de conneries.


Cette chronique a été diffusée sur Sud radio

  1. https://www.lefigaro.fr/politique/gerard-larcher-sur-la-condamnation-de-marine-le-pen-si-la-loi-va-trop-loin-le-legislateur-doit-pouvoir-la-corriger-20250402 ↩︎


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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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