Le cinéma français aime les comédies musicales. Elles ne le lui rendent pas. Aujourd’hui, les frères Larrieu et leur « Tralala »…
Tralala (Mathieu Amalric), chanteur des rues hirsute et déglingué, croise une mystérieuse jeune femme vêtue de bleu qui le fascine avant de s’éclipser avec une phrase pour seul viatique : « Surtout ne soyez pas vous-même ». Il part à sa recherche à Lourdes où toute une famille décide qu’il est Pat, l’ancien fils, frère, petit-ami, parti sans laisser d’adresse vingt ans plus tôt…
Fiction du retour et de l’imposture, « Tralala » fait penser au « Retour de Martin Guerre » de Daniel Vigne (1982), ce film inspiré d’une histoire vraie où un homme se fait passer pour un autre et conquiert les gens qui préfèrent la copie à l’original. L’ambiguïté tient à ce que la méprise n’est ici pas souhaitée par le héros, mais qu’il la laisse advenir comme le Revizor de Gogol, ce faux inspecteur administratif adopté par une petite ville russe. Solitaire, il est soudain entouré, fêté, aimé. Tralala se prend au jeu, il devient Ulysse et le fils prodigue à la fois.
Almodovar sous Prozac
De ce sujet passionnant, les frères Larrieu ne tirent pas le meilleur, faute du genre choisi, la comédie musicale, qui n’aide pas. La polyphonie des compositeurs – un par personnage – s’unifie dans la médiocrité, à l’exception légère des chansons de Philippe Katerine (on ne dira rien de l’ignoble duo hip-hop, Sein). Les chorégraphies signées Mathilde Monnier semblent mille fois vues, à l’image d’un horrible numéro de Mélanie Thierry, sorte de voguing ralenti et pataud jouant sur les encadrés du visage. La fantaisie enchantée relègue le régionalisme documentaire au profit d’un outre-monde coloré, décalé et fumeux où les SDF sont hébergés dans des vieux hôtels chics et où des enfants trisomiques dansent en écoutant les musiciens de rue. On dirait que tous, du premier rôle au dernier des figurants, sont habillés par une ancienne costumière d’Almodovar sous Prozac.
Interprétation inégale
L’interprétation est inégale, étrangement rachetée par les numéros chantés souvent sur le fil mais quand même plus touchants que ceux d’ « Annette », également enregistrés chez Carax en son direct. On retient de la distribution Bertrand Belin, chanteur discutable qui fait hérisser tous nos poils au moindre son bashungien sorti de sa bouche, mais acteur intrigant pourvu d’un physique marquant (il ressemble à une tête animalisée de Charles Le Brun qui se serait amusé à croiser un fauve et un aigle). Et Mathieu Amalric, qui reprend un rôle à l’origine prévu pour Katerine, et parvient à imposer une gêne que le scénario tente d’éluder à chaque bouffée de musique. Comme si lui seul suivait une ligne droite menant au beau monologue de retrait final, malheureusement doublé d’une chansonnette-codicille sur un canot. Dans ses meilleurs moments, « Tralala » évoque un curieux mélange Demy-Bunuel (celui de « La Voie lactée »), mais le plus souvent il n’a, hélas pour lui, que les torsades vives d’un scoubidou [1].
« Tralala » de Arnaud et Jean-Marie Larrieu
[1] Le scoubidou est un truc con, coloré, en plastique, et qui ne sert à rien !