Il n’y a pas si longtemps que cela, la pauvre Eva Joly occupait la place peu enviable de tête de turc du paysage politique français. Embourbée dans une campagne présidentielle qui la vit finalement obtenir un meilleur score que Dominique Voynet en 2007, elle cumulait les tares impardonnables : un accent crypto-teuton à couper au couteau, l’autodérision d’Alain Delon couplée au sex-appeal de Darry Cowl, etc. Jusque dans son propre parti, on lui savonnait la planche, qui en la traitant de « vieille éthique », qui en suggérant un retrait anticipé ou la surnommant charitablement « Evadanslemur ».
Quelques semaines après le 22 avril, après des vacances bien méritées, voici que l’ancienne magistrate refait parler d’elle. Cette fois-ci, on ne pourra plus lui mettre tous les errements des Verts sur le dos car sa toute dernière prise de position n’illustre en rien le cosmopolitisme libertaire compassé de ses camarades post-gauchistes. Loin des vieilles lunes sociétales, Eva Joly nous parle du traité simplifié, vous savez cet ersatz de compromis franco-allemand sur la règle d’or budgétaire négocié par Sarkozy puis remis en selle par Hollande, que le Parlement adoptera sans passer par la case constitutionnelle.
Le dernier tort d’Eva, c’est de vouloir débattre du texte en profondeur et d’exiger un referendum au lieu de le faire voter par ses amis parlementaires comme un seul homme. Pour avoir avancé le même argument, son ami président du groupe écologiste à l’Assemblée François de Rugy, s’est fait traiter de « petit con » par Daniel-Cohn Bendit en pleine université d’été des Verts à Poitiers. Au cours de la même journée, Dany, qui sort son revolver dès qu’il entend les mots « Europe » et « débat » dans une même phrase, s’est fendu d’une sortie cinglante à destination de Joly : « Eva Joly a le droit de dire n’importe quoi (…) Elle n’a qu’à faire un référendum sur l’euro en Norvège »
Dans la bouche de n’importe quel hiérarque de droite, voire dans celle d’un baron local du P.S, cette vacherie aurait valu une accusation de xénophobie dûment suivie d’un procès expéditif. Mais voilà, Dany le rouge se targue d’un glorieux passé sous les pavés. Il fut un temps où un certain Georges Marchais le traitait d’ « anarchiste allemand » dans les colonnes de L’Humanité en mai 1968, arguant que sa vulgate libertaire n’avait rien de révolutionnaire. Pour avoir ainsi dénigré Cohn-Bendit, Marchais se fait aujourd’hui traiter d’ « ordure » par le député européen, qui, en transformant « anarchiste allemand » en « juif allemand » déclencha jadis l’un des plus beaux simulacres antifascistes de l’Histoire. Quarante ans après avoir pavoisé sur les barricades, Dany décèle même « un petit ton antisémite » dans la formule du premier secrétaire communiste.
On ne sait quel nom d’oiseau mérite Cohn-Bendit pour renvoyer Eva Joly à ses origines norvégiennes. De toute façon, nous ne goûtons guère ces méthodes. Ce qui est sûr, et particulièrement piquant, c’est que l’anarchiste d’hier est devenu un brillant procureur de l’ordre libéral-libertaire. Chauvin face à Joly, il se mue en avocat zélé de l’Allemagne lorsque la crise de la dette risque de casser son joli joujou européen, avec des arguments que ne renieraient pas Angela Merkel ou Mario Draghi (« ll faut donner un peu à ceux qui payent »).
Mais reconnaissons-lui au moins un mérite : le bougre réussit à nous rendre Eva Joly sympathique !
*Photo : European Parliament
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