1963 : De Gaulle et Adenauer signent le traité de l’Elysée.
2013 : La Bundesbank retire tout son or stocké à la Banque de France.
Est-ce ainsi que l’ami allemand montre sa confiance à la France ? Entre Hollande et Merkel, l’anniversaire risque d’être glacial. Que l’Allemagne ait choisi de gifler son amie de 50 ans précisément dans le domaine monétaire devrait alerter les Français : les incompréhensions atteignent un niveau alarmant.
De Gaulle nous avait pourtant avertis : « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Et lorsqu’il signe le traité d’amitié franco-allemand avec le chancelier Adenauer, il n’a rien d’autre en tête que l’intérêt de la France. À tort ou à raison, il craint l’Allemagne autant que l’Union Soviétique. Aujourd’hui comme dans les années 50, la puissance économique allemande justifie que la France trouve un arrangement avec elle. Par ailleurs, notre pays n’est plus en mesure de mener une politique hégémonique sur le continent : comme dans une cour de récréation il vaut mieux s’allier avec un rival quand on n’est pas sûr de le maîtriser.
Les Allemands ne sont pas dupes des efforts de la France pour limiter leur marge de manoeuvre. Lors de la ratification du traité de l’Elysée, le Bundestag prend soin d’y adjoindre un préambule affirmant la prééminence de leur alliance avec les Etats-Unis sur le cartel franco-allemand. Le chantage de Mitterrand lors de la réunification leur donne raison : il y a peu de l’embrassade à l’étouffement.
Vue de France, l’amitié franco-allemande est le pivot de la construction européenne. Chez nos autres partenaires, l’irritation est palpable depuis longtemps, et pas seulement côté britannique. La France et l’Allemagne forment institutionnellement un cartel en Europe. De la PAC à la guerre en Irak, ce cartel s’emploie à influencer les mécanismes institutionnels de l’Europe des Vingt-Sept à son seul profit.
Le « sauvetage » des PIIGS en représente l’exemple le plus récent. Les banques françaises et allemandes étaient gavées d’obligations grecques ou espagnoles. Refuser à ces pays en difficulté la planche à billets de la BCE les aurait poussés à quitter l’euro, forçant du même coup leurs créditeurs à prendre d’immenses pertes. Je soutiens que le droit et l’opportunité concordaient pour offrir un avenir meilleur aux peuples de ces pays que dans la prison de l’euro. Mais lors de cette sinistre nuit du 8 mai 2010, Sarkozy et Merkel ont préféré s’asseoir sur les traités de Maastricht et de Lisbonne, troquant le droit pour la force. Le projet européen consistait à résoudre les conflits par un appareil juridique plutôt que par les rapports de puissance. Tout le monde s’est tu devant cette forfaiture, y compris la Commission Européenne, pourtant gardienne des traités. Dès lors, s’est installé un état d’exception dans lequel se prélasse le Conseil Européen, trop heureux d’avoir les mains déliées par l’érosion du droit pour satisfaire les caprices de la classe politique.
Il y a bien des manières de soutenir avec Edouard Husson que le cartel franco-allemand est l’ennemi de la construction européenne. 25 Etats sont priés d’avaler ce qui a été arrangé lors d’une promenade sur la plage à Deauville. Dès lors, ne nous étonnons pas si la constitution d’une politique de défense commune piétine. À la place de la Pologne ou de l’Italie, ne préféreriez-vous pas confier votre sécurité à un allié lointain comme les Etats-Unis plutôt que d’être serré de trop près par un condominium franco-allemand ? L’erreur vient certainement de De Gaulle, qui résumait la construction européenne au partenariat franco-allemand. Il est temps d’en dresser le bilan très nuancé.
Tout aussi préoccupant est le bilan interne de ce cartel. Le désaccord monétaire ne surgit pas encore clairement. Les Français ignorent encore largement le mécontentement populaire en Allemagne à l’encontre de la politique d’argent facile de la BCE. Le retrait de l’or allemand des coffres de la Banque de France résulte de campagnes de presse et d’enquêtes parlementaires. Pour le moment, ce mécontentement ne trouve pas d’expression politique radicale. Mais il ne manque qu’un tribun de la plèbe pour donner un tour inquiétant à la scène politique allemande. Les élections européennes de 2014 devraient fournir le moyen à des politiques responsables de prévenir pareil cours de l’histoire, et de donner un nouveau tour à la relation privilégiée entre les deux nations qui bordent le Rhin.
*Photo : European Council.
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