Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.
« Désaffectée, rangée, retirée des affaires.
Un peu en retrait de la voie,
Vieille et rose au milieu des miracles du matin,
Avec ta marquise inutile […]
Ton quai silencieux au bord d’une prairie,
Avec les portes toujours fermées de tes salles d’attente,
Dont la chaleur de l’été craquèle les volets… »
Valery Larbaud, érudit voyageur, se désolait ainsi, dès 1913, de l’état d’abandon dans lequel se trouvait l’ancienne gare de Cahors. Le problème, déjà, était que l’automobile effaçait le maillage de ce qu’on appelle aujourd’hui les petites lignes. Une automobile que Proust, au contraire, trouvait miraculeuse, précisément parce qu’elle permettait de découvrir des endroits oubliés… à cause du chemin de fer ! Dans Impressions de route en automobile (1907), il raconte : « Nous dûmes nous arrêter dans un village où je fus pendant quelques instants pour les habitants ce “voyageur” qui n’existait plus depuis les chemins de fer et que l’automobile a ressuscité. »
Aujourd’hui, la voiture n’est plus celle des « mécaniciens moustachus » de Proust, mais le débat continue. « Entre 1920 et 2020, près de 40 000 km de lignes ont été détruits sur le sol français : le constat est implacable, il y a eu une fermeture très importante de petites lignes qui constituaient le réseau structurant du territoire », a déclaré Gilles Dansart, spécialiste de la question ferroviaire, sur Public Sénat. Le sénateur LR Philippe Tabarot a renchéri : « Comme la fermeture d’une école ou d’un hôpital, la fermeture d’une gare est un symbole fort. »
On dirait cependant que la SNCF est sur le point de changer d’avis. Un plan d’investissement massif prévoit le retour des trains de nuit comme le Paris-Nice tandis qu’il est question de 300 millions d’euros pour relancer les petites lignes que la SNCF, non sans une certaine poésie technocratique, appelle les « dessertes fines ».
Cela sera-t-il suffisant pour retrouver ce que Larbaud nommait le « cœur frais de la France » dans son poème ? Les jeux ne sont pas faits, mais le TGV a moins bonne presse. Peut-être s’aperçoit-on que Michelet avait raison, lui qui écrivait dans La Mer en 1861 : « L’extrême rapidité des voyages en chemin de fer est une chose antimédicale. Aller, comme on fait, en vingt heures, de Paris à la Méditerranée, en traversant d’heure en heure des climats si différents, c’est la chose la plus imprudente pour une personne nerveuse. Elle arrive ivre à Marseille, pleine d’agitation, de vertige. »