Attention! La petite bête nous marque et nous transforme à notre insu, silencieusement, sûrement, dangereusement. De fait, il y va de notre corps, de notre esprit et peut-être même de nos rapports sociaux, voire politiques; en un mot : de notre vie et de notre mort. Vous voulez savoir de quoi il retourne? N’hésitez pas! Découvrez par quels méandres le toxoplasme, ce nouveau ciron offert à l’investigation humaine depuis un peu plus d’un siècle, s’empare de notre cerveau et de nos tripes et de notre monde. Joanna Kubar nous le raconte, avec simplicité, sans jargon, avec presque un certain sens d’énigme policière sympathique dans la présentation, et une solide aptitude à l’entraînement didactique – que manifeste l’allure socratique d’un dialogue entre un lecteur qui veut savoir et comprendre et un chercheur qui explique méthodiquement, et sans détour, et choisit, quand ce lui semble possible, de proposer une hypothèse. Le tout appuyé sur des études scientifiques rigoureuses et vérifiées, et maints tableaux et schémas et dessins pour en faire mieux ressortir les conclusions. Bref, intérêt toujours relancé, jusqu’au bout, garanti! Y compris jusque dans un entretien, en postface, entre elle et le philosophe Aurélien Liarté, entretien qui, après le parcours jusqu’alors de tenue scientifique, ouvre à quelques spéculations philosophiques et d’anthropologie culturelle sur la nature de notre libre arbitre; du nôtre, nous, individus et fiers de l’être. Oui, ce livre raconte l’histoire d’une très petite, très invisible bête, laquelle, mine de rien – Pascal le disait de façon si bouleversante – oblige, elle aussi, à prendre conscience, encore et toujours s’il le fallait, de la fragilité de notre condition humaine.
Une infection qui n’épargne personne
Vous l’aurez peut-être deviné rien qu’à entendre son nom, le toxoplasme est un parasite, un de ces micro-organismes, unicellulaires et touche-à-tout. Il suffit de bien centrer votre microscope : vous le verrez, pratiquement partout dans le monde, s’en prendre au sol et à l’eau, à la plante et à l’arbre, à l’animal, sur terre et dans les mers et dans les airs, et à l’homme – cet animal lui aussi. À l’homme, tous les hommes, d’Asie comme d’Afrique, d’Orient comme d’Occident. De France donc aussi. Le toxoplasme ne discrimine pas. Françaises, Français, vous êtes concernés autant que quiconque. Et l’on ne vous parle pas d’individus pris au hasard dans la nasse, mais, parasite oblige, d’infections épidémiques possibles de populations entières.
Rats et souris préservés
L’histoire du toxoplasme remonte à bien loin dans le cours de l’évolution naturelle. Habituée des laboratoires, J. Kubar – de double formation scientifique, physicienne et médecin spécialisée en parasitologie -, prend le toxoplasme en chemin, sur un de ses itinéraires, tel qu’il apparaît au chercheur au cœur de ses observations sur les rats et les souris, et montre l’étrange relation qui s’est établie au fil des temps, entre, lui, le parasite, et celles et ceux qu’il a parasités. Difficile à admettre, mais il semble que chez rats et souris, mâles et femelles des deux espèces, le toxoplasme a su ne pas dépasser son propre appétit parasitique, pour, installé chez ses parasités, mieux le gérer précisément en se nourrissant d’eux juste ce qu’il faut pour se maintenir en eux, influant sur leur comportement sexuel, c’est-à-dire procréateur, donc faisant souche; par là-même, prospérant jusque dans ses descendances et les leurs.
Le chat précurseur
Cela dit, pour le commencement, c’est chez le chat que ça s’est passé, dans l’intestin de celui-ci que le toxoplasme est né, a connu son développement initial. Ensuite, aux jeux des chats et des souris, une contamination s’est produite, qui, d’infecté à infecté, a trouvé ses marques et a continué et n’a cessé et ne cesse de le faire depuis. Et ce qui est vrai des rats et des souris, et des chats, l’est tout autant – expériences et observations le montrent – des autres créations de la nature. Car, le chat – ne pensons pas seulement au gentil domestiqué que nous aimons dans le calme de nos foyers – mais au chat, qui fut libre vagabond au long de son développement multimillénaire dans la nature; ce chat, même quand il ne contaminait pas nécessairement le rat ou la souris, laissait ses excréments un peu partout dans l’herbe… et voilà que celle-ci, touchée, pouvait servir de nourriture à tel autre animal, ouvrant ainsi mille et un cycles de diffusion nouvelles et toujours renouvelées… Et quel homme, n’a pas mangé de l’animal, justement? … Quant au végétarien, il subit la même malédiction, puisque les plantes…
Toxoplasme, parasite tenace…
Mais, pour en rester au rat et aux observations qu’il permet : la plus frappante est la suivante : un rat non infecté par le toxoplasme fuit, par aversion naturelle, le chat prédateur, tandis que le rat infecté le recherche. De là, une série de questions que le chercheur ne peut éviter de se poser menant toutes à se demander le rôle assuré par le toxoplasme dans l’attitude suicidaire du rat infecté : quels mécanismes neurologiques, voire génétiques, ce fichu et intelligent (pour lui-même) parasite met-il en branle? Et s’il en est ainsi chez le rat, qu’en est-il une fois qu’il a parasité l’homme? D’autant plus que chez celui-ci, le toxoplasme a ses habitats et ses menus de choix : il se plaît à se loger dans le cerveau et les muscles, quand ce n’est pas dans les yeux et les testicules. Et quand il apparaît au cours d’une grossesse, ce n’est pas mieux, il préfère l’utérus – pauvre prochain fœtus! Bref, une fois dans l’humain, rien – la vie à venir même! -, ne lui échappe.
50% de Français parasités
Mais alors, comme pour le rat infecté attiré par le chat ennemi, desquels de nos comportements, nous, hommes, notre parasitage par lui peut-il nous fournir quelque explication? Nous avons d’autant plus de raison d’en chercher que les chiffres épidémiologiques laissent le lecteur ébahi, préoccupé, voire inquiet désormais, devant l’ampleur du phénomène. Pour ne parler que de la France, 50% d’entre nous, individus adultes, sommes parasités, et on estime à 200 000 à 300 000 autres nouvellement contaminés chaque année. C’est aussi le cas de 70% des ovins et des caprins, 25% des porcs, 10% des bovins, et de plus de la moitié des 11 millions de nos amis les chats. Comment le sait-on? Par la détection des anticorps que notre système immunitaire – heureusement? – provoque face à l’assaut qu’il subit. Nul n’est sauf pour autant. L’homme a son système. Le toxoplasme, lui, tout comme le premier parasite venu, a ses stratagèmes pour lui échapper et survivre. Certes, on cherche, on soigne, on conçoit de possibles vaccins, on propose dix méthodes prophylactiques simples – laver les légumes, se laver les mains…
Une mutation inattendue
La tâche semble infinie! D’autant plus qu’entre autres diverses situations au sein desquels le toxoplasme prolifère, il en est une, la plus répandue, latente, chronique, asymptomatique, caractérisée par l’absence de signe apparent. C’est que la bête est sournoise. Malheureux homme qui se sent en bonne santé, sans savoir qu’il l’abrite dans son cerveau et qu’un jour, au hasard de mécanismes internes, neurologiques et génétiques, qui le dépassent, une surprise désagréable pour lui-même peut le saisir au tournant! J. Kubar établit toute une liste de corrélations, sinon de causalités – mises à jour dans les recherches de ces dernières décennies dans de nombreux pays – entre le toxoplasme et la schizophrénie, lui et l’épilepsie, lui encore et des cancers du cerveau, lui toujours et la dépression, et même la maladie de Parkinson, les désordres obsessionnels, les migraines et la maladie d’Alzheimer. Et ce n’est pas tout. D’autres études montrent également que, comme chez le rat, le toxoplasme pourrait ne pas être sans exercer des effets sur le comportement et la personnalité des hommes et des femmes. Des relations ont été établies entre la présence du toxoplasme et le taux de suicides, le toxoplasme et les accidents de la route. Tenez-vous bien : la petite bête influerait sur la propension d’une femme infectée par lui à donner naissance à un garçon plutôt qu’à une fille! Elle marquerait aussi la distribution de traits de caractère entre les femmes et les hommes. Les femmes infectées seraient en moyenne plus cordiales, consciencieuses, conformistes, moralisatrices, mieux organisées, plus disciplinées que celles qui ne sont pas contaminées, mais aussi moins sceptiques, moins prudentes, plus indulgentes que ces dernières. C’est le contraire chez les hommes. Le toxoplasme dans leurs neurones les rend plus vigilants, mais moins moraux, cordiaux ou perfectionnistes que ceux non infectés par lui. Aussi, malgré toutes les précautions d’usage dans les conclusions qu’on peut tirer de l’ensemble des recherches connues, bien des observations font plus qu’inciter à penser que le toxoplasme influence notre comportement. Et ce ne serait pas seulement une affaire d’individus!
Une influence sur le libre arbitre
Un appui sur une étude d’anthropologie culturelle comparée permettrait même – mais il faut reconnaître que nous avançons ici dans ce qui paraît relever d’un ordre encore assez hypothétique – d’envisager une corrélation entre la présence du toxoplasme dans un groupe culturel donné, et les comportements moyens (des stéréotypes, si vous voulez) des individus qui le composent. Oui, le toxoplasme, ce parasite du chat à l’origine, s’est avancé fort bien loin de son point de départ. Le voilà maintenant, lové dans les plis et replis du cerveau humain, s’arrogeant peut-être, ne serait-ce que partiellement, le pouvoir de faire penser l’homme d’une façon plutôt que d’une autre. Pas l’homme, simple individu seulement, mais avec lui bien de ses frères et de ses sœurs et de ses co-nationaux, tous ensemble membres d’une même culture, la chinoise ou la turque, l’helvétique alémanique ou la mexicaine; sans oublier la française bien sûr. Le toxoplasme aurait à voir avec ce qu’on appelle la culture, comportements et mentalités réunis! Avec les cultures plutôt, dans leurs diversités…
Drôle d’histoire que celle de ce toxoplasme! Drôle, pris ici au sens de sérieux, bien sûr. Comment en serait-il autrement quand tant de données recueillies sur lui à travers multiples disciplines – neurologie, génétique, épidémiologie, psychologie, éthologie, anthropologie – mènent à comprendre qu’il ne doit pas être sans avoir son mot à dire dans nos façons de penser et d’agir? J. Kubar le laisse plus qu’entendre quand, pour finir sa présentation sur un mode d’ouverture du sujet et non de sa conclusion, elle entame avec A. Liarté une série de questions concernant notre libre arbitre. Et si le toxoplasme le déterminait – nous déterminait – vraiment? Et jusqu’où? Petite bête, peut-être. Mais en voilà encore une qui se joue – sans doute? probablement? – de l’homme!
Joanna Kubar, Un parasite à la conquête des cerveaux : le toxoplasme, postface d’Aurélien Liarte, EDP Sciences, 2017
Un parasite à la conquête du cerveau: Le toxoplasme
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