Eric Zemmour veut un changement de civilisation mais, paradoxalement, celle qu’il propose n’aurait plus grand-chose de français.
Finalement, dans la Ve, où tout repose sur l’élection d’un président, l’électeur est renvoyé à un choix simple, voire simpliste. Vous votez au second tour pour un candidat contre l’autre. Ou vous votez blanc. Inutile de dire que pour l’électeur de gauche que je suis, les dernières présidentielles n’ont pas été une partie de plaisir. En 2007 et en 2012, c’était clair : j’ai dû me résoudre, sans enthousiasme excessif, à voter Ségolène Royal contre Nicolas Sarkozy qui a gagné, puis pour François Hollande contre Nicolas Sarkozy qui a perdu.
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En 2002, après avoir voté Chevènement, j’ai décidé de ne pas choisir entre Le Pen père et Jacques Chirac. La fable qui consistait à transformer entre deux tours le « Super-voleur » en sauveur de la République ne m’a pas convaincu : j’ai été assez peu sensible à la « quinzaine antifasciste » que raillait déjà Élisabeth Lévy. En 2017, j’ai aussi refusé de choisir dans le duel entre Macron le mutant « et de droite et de gauche », et une Marine Le Pen devenue sociale mais avec la « préférence nationale » comme boussole. En 2002 comme en 2017, certains amis m’ont reproché ce bulletin blanc. Pour 2022, on nous construisait à l’avance le match retour entre les deux mêmes. Déjà, je fourbissais mon vote blanc, pour la troisième fois en vingt ans.
Sauf que Zemmour s’est invité.
Et là, pour moi, ça devient une tout autre histoire. Certains sondages, qui valent ce qu’ils valent, annoncent la possibilité d’un second tour entre lui et Macron. Dans cette hypothèse, je peux le dire clairement, j’irais voter Macron. C’est même le seul cas de figure où le président sortant aurait ma voix. Pourquoi ? Tout simplement parce que je compare Le Pen et Zemmour. La vision de Zemmour repose sur des bases ethniques et essentialistes. Pour Marine Le Pen, l’islam demeure compatible avec la République, quand Zemmour exclut de facto plusieurs millions de Français de la communauté nationale.
Il faut revenir à René Girard et à sa théorie du désir mimétique qui dégénère en rivalité mimétique. La France de Zemmour est une France qui veut reprendre à son profit la vision de l’Autre, en l’occurrence l’islamiste : la volonté de soumettre un ennemi par tous les moyens. On se souviendra peut-être que dans un numéro de Causeur, en octobre 2016, Zemmour avait déclaré à propos des djihadistes : « Je respecte des gens prêts à mourir pour ce en quoi ils croient, ce dont nous ne sommes plus capables. » Il est en miroir avec les islamistes. Par exemple, lui aussi veut des femmes à leur place qui feront ce qu’on leur dit : l’islamiste les voile obligatoirement, Zemmour les dévoile tout aussi obligatoirement. Une police du vêtement se substitue à une autre, mais c’est toujours une police.
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Nous sommes, pour le coup, vraiment par-delà la gauche et la droite, même extrême. Nous sommes dans la volonté, dans les deux cas, de changer radicalement de civilisation, ce que ne demandent ni Le Pen ni Macron. Et si je ne veux à aucun prix de la civilisation de l’islamiste, je ne veux pas non plus de celle, symétrique, proposée par Zemmour. Donc, si la chose se présente, en avril 2022, ce sera Macron au second tour.
Le cœur lourd, mais sans la moindre hésitation.